• La voie du bonheur

    La voie du bonheur

    — C’était il y a bien longtemps ; si longtemps, qu’il semble que cela ne pouvait qu’être dans une autre vie. Il y faisait beau, il y faisait bon, la rumeur des jours se confondait en une musique légère qui retombait en pluie fine sur le monde attentif au moindre changement. C’est dans ce climat où se mélangeaient intimement les sentiments que je fus déposé sur la terre, dans la plus grande discrétion, car en ce temps-là, on ne perdait pas de temps en discours inutiles.

    Une chose pouvait être belle et une autre délicate parfois laide ; peu importe, l’émotion ne se lisait sur aucun visage, dont seul le temps froissait sur son passage. Les mains étaient occupées de l’aube au coucher du soleil, avec la tentation d’étouffer la bougie avant qu’il en soit l’heure.

    Comme on avait quelques difficultés pour exprimer ses émotions, on se contenta de me dire le minimum. C’était quelques mots brefs, suivis de gestes qui traduisaient les pensées.

    Il fallait être bien attentif si nous ne voulions pas perdre le fil de la conversation qui se réduisait le plus souvent à un court et triste monologue.

    Quand on jugea que mes jambes étaient assez longues, un beau matin on me montra une superbe voie ferrée et l’on me dit sur un ton grave :

     — Voilà ta voie ! Elle est la seule qu’il te faudra suivre à l’instant où tu éprouveras le besoin d’aller à la rencontre du monde. Aucune autre voie ne devra attirer ton attention. Celle-ci est tienne et jusqu’à son terminus il te faudra la suivre, sans t’arrêter dans les gares qui ne pourraient t’apporter aucun enrichissement.

    Comprends par là que nous ne dénigrons personne, dans le sens où les gens en eux-mêmes sont souvent très intéressants. C’est seulement qu’il ne te faudra pas stationner dans les endroits où les personnes ne recherchent que la facilité qui conduit au dévoiement.

    À l’heure dite, j’ai mis un pied devant l’autre et je me suis aventuré sur ma voie.

    Au début, ce fut amusant. Plus j’avançais et plus le bout de ma voie reculait. J’ai donc beaucoup de temps devant moi, me surpris-je à penser.

    Comme elle était rectiligne et avant que la monotonie se glisse dans mes bagages, je commençais à zigzaguer, allant d’un rail à un autre.

    Puis le temps vint où il me fallut occuper mes journées, car l’esprit laissé à lui-même n’apporte jamais rien de bon. Alors, pour le distraire, je me suis mis à compter les traverses comme on le fait des jours, puis des semaines et enfin des années. Ce fut à cette époque que je me rendis compte que le temps filait vite, bien trop vite à mon goût sur ce drôle de chemin que rien n’encombrait.

    Je me souvins des paroles dont on m’abreuvait alors, autant que des soupes épaisses dans lesquelles se serraient les tranches de pain.

    — Le long de ta voie, tu rencontreras beaucoup de gens. Certains, tu reconnaitras comme étant des amis. Il ne te faudra jamais les décevoir. Rarement, ils te demanderont un conseil, ce sera à toi de deviner ce dont ils souffrent et de trouver le moyen de les soulager.

    Il y aura d’autres personnes qui seront peu recommandables. Il t’appartiendra d’être vigilant, car sur aucun visage le vice n’est inscrit. Tu dois le deviner et faire en sorte de passer ton chemin sans t’y attarder.

    — Dans les gares de triage, loin de m’y arrêter, je fixais ma voie, afin de ne pas me laisser orienter sur l’une ou l’autre qui m’aurait fait changer de direction.

    Continuant mon voyage, un matin je fus surpris de découvrir qu’au loin, le soleil était posé sur ma voie qui réunissait les deux rails. Serait-ce que j’arrive déjà au bout, m’exclamais-je avec quelques inquiétudes dans la gorge ?

    En fait, je vous avouerai que je fus déçu, car si j’ai bien rencontré des hommes, ils ne furent jamais très nombreux. Certes, il y en eut, mais ceux que j’ai croisés m’apercevaient à peine, occupés qu’ils étaient à compter leurs traverses sur des voies parallèles. Certains avançaient soliloquant, d’autres ratiocinaient et d’autres encore semblaient parler aux étoiles.

    En fait, j’aurai aussi bien pu traverser le désert, me demandais-je surpris. Je suis passé sans que l’on me pose la moindre question. Moi ou un autre, quelle importance, me suis-je dit ? J’aurai aussi bien pu avoir une famille nombreuse accrochée derrière moi, qu’il en aurait été de même.

    Alors, me suis-je encore questionné, pourquoi avoir fait une voie si longue si elle ne conduit nulle part, à moins qu’elle ne soit celle d’un garage ?

    Si tel est le cas, que j’y arrive vite, criai-je, reprenant ma voie et accélérant. Au moins peut-être que là-bas on me demandera d’où je viens et où je veux aller après ma remise en forme.

    Qu’importe la direction que prendra ma nouvelle voie ; pourvu qu’elle me conduise vers les sourires, l’amitié et le bonheur !

     

     

    Amazone. Solitude


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