• LE Baiser volé

     

    LE Baiser volé— Depuis les premières heures du jour, ils étaient ensemble. Il le lui avait promis et il tint parole en se rendant dans cette ville du bord de l’océan, dans les rues de laquelle ils étaient allés au-devant de leur histoire, essayant de la lier à celle des vieilles pierres qui en avaient vu bien d’autres.

    C’est qu’un destin amoureux ne peut naître au milieu de nulle part. Il a besoin que l’on se souvienne de ses premiers espoirs, ses premiers battements du cœur qui soudainement se prend pour un torrent venant de se libérer des glaces hivernales.

    Ils étaient assis devant la mer qui venait sans cesse déposer une nouvelle vague à leurs pieds, telle une offrande. Ils se tenaient par la main, semblant absorbés par le va-et-vient de la mer qui, pensait-on, les avait hypnotisés. Elle posa sa tête sur l’épaule de celui qu’elle aimait en secret depuis si longtemps sans jamais avoir eu le courage de lui dire.

    À cet instant elle ne voulait rien d’autre qu’un peu de tendresse et au plus profond de son être, elle espérait qu’il prononcerait les paroles qui la transporteraient dans un monde merveilleux. Mais il ne disait rien, le regard posé sur un point de l’horizon. À cet instant il ne pouvait rien dire ; il goûtait seulement à ces instants de liberté volés au temps. Les premiers mots qu’il prononça ne furent pas ceux qu’elle avait attendus depuis tout ce temps.

    Elle ne put retenir ses larmes quand, presque dans un murmure il lui dit :

    — Tu vois cette ligne qui partage nos continents, bientôt je l’aurai dépassée et seul Dieu sait ce qu’il adviendra de moi.

    Elle répondit :

    — Je t’attendrais le temps qu’il faudra.

    Il la serra contre lui, mais pas de la manière qu’elle désirait. Il la rapprocha seulement à la façon qu’a un père de protéger son enfant.

    — Cela n’est pas possible petite fille, enchaîna-t-il. Je pars très loin et pour longtemps. Je ne sais pas si je reviendrai un jour et il y a autre chose qui m’interdit de t’aimer comme tu le désirerais.

    — Je ne t’ai jamais avoué que je t’aimais, osa-t-elle se défendre.  

    — Tu sais, répondit-il simplement, je ne suis pas aveugle. Il y a bien longtemps que j’ai deviné que pour toi je représentais plus qu’un ami. Je sais le mal que je puis te faire, mais crois moi, je ne suis pas encore prêt pour fonder un foyer. Il me faut encore du temps, beaucoup de temps pour comprendre les mystères de l’existence et défaire l’enchevêtrement qui noue les intrigues de ma vie.

    Il me faut savoir si sur cette terre, le bonheur existe et dans quel pays il demeure. Je veux rencontrer des gens qui aiment, qui ne connaissent pas l’amertume ni la haine. Si le bonheur est vrai, je veux le voir, le sentir et le toucher. Je veux m’assurer que j’existe au milieu de ces tourments et ce à quoi je suis destiné.

    — Mon amour, se risqua-t-elle, pourquoi veux-tu aller si loin ? Cet amour, que tu cherches et tout près de toi, mais pour l’instant il te plait de l’ignorer !

    — Non, mon amie, le bonheur d’ici n’est pas pour moi. Il s’est toujours refusé à moi, il m’a ignoré. Pire, il n’a cessé de me meurtrir au plus profond de mon être. Penses-tu que le plus beau diamant du monde garde tout son éclat en dehors de son écrin ? Crois-moi, s’il est ailleurs, je le ramènerai. Ne sois pas triste, car pour toi aussi le bonheur t’attend au détour d’un chemin. Il te rejoindra à un moment que tu ignores et j’espère qu’il sera encore plus beau que celui que tu vois dans tes rêves. Tu dois bien te douter que l’on ne peut être heureux que si l’amour est partagé ! Un seul être ne peut à lui seul aimer pour les deux. En de telles circonstances, le drame n’est jamais loin. Ce n’est pas cela que tu espères, je le sais.

    — Pour toi, ma belle enfant, j’aurai été une bouffée d’air frais venue du large pour apaiser ton cœur quand il était au plus mal, peut-être une étoile dans le ciel à laquelle tu auras accroché tes espoirs. Mais dans le matin, toutes les étoiles s’éteignent, et au soir, quand elles réapparaissent, tu ne retrouves plus celle sur laquelle tu avais posé ton regard.

    Elle comprit que la séparation était proche. Elle se jeta contre lui, ne pouvant plus retenir ses sanglots. Son corps était pareil au navire perdu dans la tempête. Alors, dans un ultime effort et sans qu’il puisse s’y opposer, elle lui vola un baiser. Un seul, se dit-elle, non pour sceller notre amour, mais pour sanctionner notre séparation.

    En son esprit, il était la plus belle chose qu’elle n’avait jamais détenue.

    — Mieux, se dit-elle, il sera un secret que jamais je ne partagerai avec quiconque. Quand, en mon esprit il fera aussi sombre que dans le ciel, il me suffira de passer la langue sur mes lèvres pour retrouver la saveur de l’amour. Il sera inoubliable, puisque ce baiser volé gardera à jamais le goût de la mer, parce que ce jour-là elle fut ma complice.

    Amazone. Solitude.

     

     


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