• Le banc du désespoir

    Le banc du désespoir

    — Mère, ce soir encore je viens à votre rencontre, mais comme de coutume, vous n’y êtes point. Vous avouerais-je combien de fois je suis venu voir si vous vous teniez debout, près de cette mer océane ? Hélas ! Une fois de plus, le banc n’est qu’une nouvelle désillusion. Cependant, mère, dans nos contrées, il fut un temps où il se murmurait qu’en observant la lune, on y voyait comme une Vierge tenant son enfant contre elle.

    Mon imagination est encore trop jeune pour affirmer cette légende ; mais en mon esprit, je me disais que si la Vierge se montrait en même temps que la lune, à sa suite, elle devait entraîner toutes les mères devenues des anges. Naïf je fus ; jamais, vous me fîtes le moindre signe. On disait encore que la lune, lorsqu’elle prend ces couleurs, c’est qu’elle se désole elle-même d’avoir un jour, quitté sa mère la Terre, dont elle se détacha lors d’une grande dispute. Si elle revient de temps en temps la visiter, c’est que son geste, depuis, elle regrette !

    Alors, je vois bien que notre planète ne lui en tient pas rigueur, car elle lui prête son océan pour qu’elle s’y plonge comme pour se ressourcer. Et puis, pourquoi ne pas le dire ? Je vois bien que la mer trouve également un certain plaisir à la recevoir, puisque sur sa surface, elle ne peut cacher les frissons qui la parcourent.

    Ô ! Mère comme j’aimerai qu’il en soit de même pour moi à l’instant où votre peau effleurerait la mienne ! Nous serions là, sur le banc, étroitement enlacés, ne disant aucune parole qui pourrait troubler l’instant. Nous attendrions que la lune ait fini de prendre son bain, tandis que les ténèbres descendraient doucement, installant sur nos épaules les réunissant, le voile fin de la nuit. Mon esprit serait attentif au moindre mot, car admettez-le, mère ; vous ne lui en aviez guère adressé depuis ce premier matin où vous me déposâtes sous la forêt. Mère, sans doute avez-vous souffert plus qu’il ne fût nécessaire et croyez que je ne suis pas là ce soir pour vous juger.

    Je suis également qu’un être faible et je ne suis pas exempt de fautes. Pourquoi vous dis-je que vous avez souffert ? Parce que, cette mer océane qui frissonne jusqu’à mes pieds, figurez-vous qu’un temps je me suis imaginé que c’était vos larmes qui l’avaient remplie ! Oui, mère, je ne puis imaginer que vous n’avez pas souffert en confiant votre enfant aux esprits de la forêt et j’entends encore les mots que vous avez adressés au ciel avant de vous éloigner :

    — Mon dieu, puisque vous ne voulez pas me le laisser, ayez le courage de veiller sur lui. Si tel n’est pas votre désir, n’en faites pas un prince ni un bourgeois. Si vous lui permettez de devenir un homme, rien qu’un homme, plus tard, il ne sera pas un ingrat. Toutefois, n’oubliez pas de lui donner la force, le courage et la foi, car dans notre famille ce sont des éléments qui ignorèrent notre demeure !

    — En vérité, mère, je ne sais pas si vous avez vraiment prononcé ces paroles ou si vous les avez pensés trop fort pour qu’elles parviennent jusqu’à ma mémoire. Mais depuis toute ma modeste existence, ces mots tournent en rond en mon esprit, et je ne puis croire qu’ils s’y trouvent par hasard. Voyez, mère, la lune continue de descendre, mais dirige son faisceau lumineux vers le banc, comme si elle voulait m’indiquer l’emplacement qui fût le vôtre. Dans un instant, je viendrai occuper votre place et je crois que je ressentirai votre présence, car il me plaît d’imaginer que l’astre luisant du soir vous trouble à ce point que vous n’osez paraître devant moi.

    Si vous saviez, mère, comme vous avez tort de ne pas venir vous joindre à moi ! Vous n’avez aucune crainte à nourrir à mon endroit, car je ne vous ai jamais imaginée autrement que douce et belle, avec une voix suave qui fait s’endormir l’enfant même quand il se croit malheureux. Si je tends le bras en direction de la lune, sans doute pourrai-je vous montrer le chemin qui conduit jusqu’au banc dont je crois qu’il est celui du désespoir, puisque jusqu’à ce soir, vous ne vous y êtes jamais tenue, posant délicatement votre main sur mon épaule.

    Je laisse mon regard courir jusqu’à l’horizon sur lequel se balance la lune, en espérance de toutes mes forces, que dans un instant, je verrais une silhouette en descendre avec une infinie précaution. Ses pas seront d’abord hésitants, puis, ayant trouvé leur équilibre, ils se feront rapides. C’est alors que vos bras s’écarteront pour m’accueillir et allant à votre rencontre, ensemble, à l’instar de la lune ayant accompli son miracle, nous la suivrons par delà l’océan, afin que plus jamais nous ne nous quittions.

    La lune a poursuivi son chemin ; la mer l’a accueillie comme elle le fait chaque soir laissant orphelin le banc du désespoir avec, accroché au dossier, un sac rempli de rêves et de larmes et sur ses planches quelques traces d’un amour qui ne fût jamais consommé. L’océan ne frissonne plus, il s’est refermé sur des êtres imaginaires qui attendront la prochaine lunaison pour retrouver leur banc en chantant un hymne à l’amour.

     

     

    Amazone Solitude.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 23 Juin 2016 à 14:07

    BONJOUR RENE !

     

    Une photo bien faite comme celle là, exhale tout un univers !

    Pour moi c'est le banc ou papy et mamie aimaient se tenir la main sous le soleil sans rien dire puisqu'ils se sont dits (Et oui !!!!). Ce même banc sous clair de lune représente le récent départ de mamie, seule depuis des années et qui ne fréquentait son banc qu'au couché de soleil !

    Je retourne pour lire les deux proses que j'ai raté !

     

    Salut Mon Ami René et bisous à Josette !

    Rémy.

    2
    Jeudi 23 Juin 2016 à 16:34

          Bonjour René .
      Bien émouvant  ce  texte .. Allez  a  l'encontre  d'un  être  qui  ne  vient  plus ou qui n'est jamais  venu , reste un bien douloureux  souvenir et , comme  un  fidèle  ami seul  le chagrin nous tiendra  compagnie . Belle  illustration pour ce  triste billet ..
    Bonne  journee ami lointain ..
    Amitié  des US  et gros bisous a vous deux ..
    Nicole .. 

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