• Le bonheur à la porte du village

    — J’ai toujours eu une profonde attirance pour ces villages que d’aucuns prétendent qu’ils sont du bout du monde. Mais s’ils apparaissent au bout de ces continents que tant de gens ignorent qu’ils puissent exister, ils sont cependant aussi proches de nous, que peut l’être le jour suivant. Je vous l’accorde, il fut un temps où plusieurs mois de voyage étaient nécessaires pour se rendre vers ces contrées lointaines. La vie de cette époque était comparable à la lecture d’un beau roman. Elle se découvrait page après page sans curiosité excessive pour les chapitres suivants et il ne venait à l’idée de personne de se rendre directement à la fin.

    De nos jours, nous sautons dans un avion qui nous dépose dès le lendemain en plein cœur de nos rêves, où parfois, à leurs contacts, la réalité est difficile à accepter. L’avantage des longs voyages résidait aux escales qui étaient une sorte d’adaptation et la préparation aux évènements ainsi qu’une incitation à oublier pour un temps que nous avions vécu un autre modèle d’existence. Chaque port représentant une page de notre livre, on comprend mieux pourquoi nous n’étions pas pressés d’avancer dans notre lecture.

    L’arrivée à destination alors, était perçue non comme une délivrance, mais une divine récompense. À peine étions-nous débarqués, nous prenions la direction où nous attendaient les promesses et nous n’étions jamais déçus. Vous dirais-je avec les mots loin de représenter la réalité, car il leur manque les sentiments qui remuent les entrailles, combien j’ai aimé ces villages semblant venus d’un autre temps où celui-ci osait s’attarder ?

    Je n’avais pas encore franchi la première case que déjà l’émotion étreignait si fort mon corps, que mon cœur, soudain, se mettait à battre plus fort. Un coup d’œil suffisait à comprendre qu’il y faisait bon vivre dans la simplicité et la convivialité. On pouvait imaginer que nous ne pénétrions pas dans un village, mais au sein d’une famille nombreuse. À peine le jour avait-il chassé les étoiles d’un revers de nuage, que les uns et les autres s’interpellaient comme s’il y avait des mois qu’ils ne s’étaient plus revus, alors que la veille encore ils chantaient et dansaient en battant le tambour autour de grands feux. Dans chacune des cases, les réchauds à charbon de bois ou à pétrole font déjà chauffer l’eau pour le riz et l’huile de palme pour frire les beignets à la viande. Ils seront les repas pour la journée passée dans les champs des cultures.

    Ah ! Qu’ils sont loin les déjeuners pantagruéliques de nos campagnes sur un autre continent, où la charcuterie maison était la reine des grandes tables de fermes, voisinant auprès de soupes solides, d’œufs au lard, alors que le jambon n’en finissait jamais de sécher dans la cheminée ! Ici, je ne prétends pas que la faim tenaille le ventre, mais les traditions culinaires en dehors des grandes réunions sont beaucoup plus humbles. S’il y a un débordement ou une manifestation, soyez sûr qu’elle ne peut être que d’amitié, comme si ce noble sentiment suffisait à nourrir les hommes. Quand le soir ramène les gens des champs en même temps que la fraîcheur, la vie ne s’arrête pas pour autant. Les rires vont continuer de rebondir sur la gaulette des cases en cherchant le point faible par où pénétrer. On se retrouvera encore pour se parler, car un village qui vit, c’est celui où les habitants ont toujours quelque chose à se dire. Elles sont invisibles, mais on devine que les âmes des anciens ne sont jamais bien loin, elles passent et s’attardent à travers les dédales des rues comme pour y insuffler la vie.

    Dans ces bourgades qui fleurent bon le bonheur, les échanges ne sont pas un vain mot. Il est inutile de chercher une télévision qui pourrait accaparer les esprits des gens. La réalité n’est jamais bien loin, car elle occupe l’espace dans lequel vont et viennent les amis. Bien sûr, comme partout où sont réunis les hommes, parfois de mauvaises nouvelles attristent le village. Alors, on se prend à souhaiter que si elles se préparent à se mettre en route, elles s’égarent dans la forêt en la traversant. Ici, vous ne trouvez jamais une âme, souffrir dans sa solitude. Partager est le maître mot. Si le bonheur demande à occuper le village, on ne voit pas non plus des mains se tendre pour le retenir. On sait depuis toujours qu’une part suffit pour être heureux. On devine également que le jour se lève pour tous et que les sourires sont plus agréables à recevoir que les mots qui blessent.

    Soyez certains d’une chose : dans ces villages oubliés d’un autre monde, on arrive toujours trop tard et l’on repart souvent trop tôt. Enfin, c’est ce que vous disent les gens simples ; ceux qui possèdent peu, mais qui aiment à le partager.

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :