• Le boutre

    En ces temps de fêtes où l’on aime écouter de belles histoires, le billet que je vous propose est un récit authentique. Cependant, dans le grand livre des contes, et autres légendes, sans nul doute, il y a sa place. Je vous souhaite un voyage.

     

    — Si nous devions prendre l’histoire qui suit à ses débuts, il nous faudrait remonter très loin dans le temps, ainsi que dans l’hémisphère nord. En effet, les protagonistes qui apparaissent au gré des lignes s’étaient embarqués à Saint-Malo. Ils étaient selon les époques ou les accords passés avec les autorités, tantôt pirate, tantôt corsaires. Mais de l’équipage qui prit le vent ce matin de printemps 1795 très peu s’en revinrent au pays. Infatigables coureurs et détrousseurs des mers, ils arraisonnaient les navires anglais ou hollandais qui rentraient des Indes, les cales lourdement chargées. Les butins si tôt changés de bords, c’était le retour vers Nantes où une partie des prises était partagée en douce, avant de transmettre le reste de la cargaison aux douaniers chargés de la remettre au Roi. Mais tant de marchandises et trésors avaient de quoi alimenter les convoitises.

    Ainsi, lors de courses folles dans l’océan Indien, leurs méfaits accomplis, un équipage se rendit sur une île isolée, où ils furent accueillis par la compagnie de la France Équinoxiale. Pensez donc, qui aurait refusé l’accostage de navires chargés de tant de trésors ! Lassés par des années de courses folles, certains corsaires s’établirent sur cette île et y installèrent des commerces et fondèrent des familles. Les échanges avec les bâtiments de passage allaient bon train, le négoce devint vite prospère. Mais comme le dit une maxime, « bon sang, ne saurait mentir ». L’un de ces descendants de ces navigateurs de pères en fils, fit part de son désir de reprendre la mer. Il trouvait l’île trop petite, habitué qu’il était des grands espaces maritimes. Il eut même l’audace de dire à son parent qu’elle semblait s’accrocher à son cou tel un collier trop lourd à porter. La vie en ces lieux posés entre mer et ciel lui paraissait trop monotone. Lui, s’estimant digne descendant de pirates et de corsaires ou simplement de modestes pêcheurs lorsque les pays n’étaient pas en guerre, se devait de retourner à la mer. Devinant au-devant de quels dangers son fils allait, son père essaya bien de l’en décourager, mais devant l’entêtement du jeune homme, il consentit à lui offrir son propre bâtiment qui s’ennuyait à tourner en rond autour de son ancre.

    Certes, il n’était pas aussi élégant que ceux qui volaient presque au-dessus des vagues lorsqu’ils abordaient les navires ennemis, mais il était un joli boutre robuste pour affronter le temps changeant dans la région et suffisamment important pour emporter des cargaisons négociables avec les îles voisines.

    Ayant fait le tour des Terres environnantes, Jean Fernand jeta son dévolu sur la grande île de Madagascar ; il eut une préférence pour la côte est et sud où les marchandises se vendaient ou s’échangeaient.

    Le trafic prit de l’essor ; à ce point, que le commerçant devenu armateur choisit rapidement un équipage afin de faire face à la demande grandissante. Notre capitaine était un parfait gestionnaire, et, pour ne rien gâcher, il était plutôt bel homme. Il ne tarda pas à séduire quelques jeunes filles donnant foi au dicton « le marin aime une fille dans chaque port ».

    Jean Fernand, cependant, bien que refusant le mariage pays avec l’une de ses conquêtes, lui fit pas moins de trois enfants !

    À chacun de ses voyages, il ne manquait jamais de rendre visite à sa petite famille et aucun cadeau n’était trop beau ni trop cher pour la mère de ses héritiers, comme il le prétendait.

    Toutefois, n’oublions pas que dès la première rencontre il lui avait déclaré :

    — Certes, je t’aime, mais un homme comme moi ne peut pas être comme le zébu à l’attache. Mon épouse véritable est la mer et mon lit ne saurait être que mon boutre. Mais je ne t’oublierais pas ; je t’en fais le serment. Dans mon cœur, ta place ne sera remplacée par aucune autre femme !

    Elle lui avait répondu avec un regard de circonstance qu’elle l’avait deviné depuis leur première rencontre.

    — J’ai vu dans notre ciel de magnifiques oiseaux, mais ils ne font que passer ; tout juste quelques-uns s’arrêtent-ils pour se reposer et se restaurer avant de repartir. J’ai toujours pensé que tu leur ressemblais ;  peut-être même es-tu l’un d’eux ?

     

    Durant l’escale d’un jour, sans grande conviction, il lui avait proposé de le suivre et ainsi découvrir les beautés de l’océan ainsi que les îles merveilleuses qui ressemblaient à des émeraudes posées sur les flots. Elle s’était gaussée, en s’écriant :

    — Tu n’y penses pas ! Moi, une fille, dont les pieds, n’ont jamais quitté la terre sur laquelle elle vit le jour ! Tu ne voudrais quand même pas que je devienne comme toi, quelqu’un qui n’a plus le souvenir de sa famille ni celle de son pays, à force de parcourir le monde !

    Ils restèrent donc bons amis et les tissus de qualités et autres produits nouveaux étaient déposés à chaque voyage. Elle lui avait confié avec une assurance qui ne trompe pas :

    — Tu es un bon père à défaut d’être un mari. Le moment venu, je dirai à tes enfants quel homme merveilleux tu fus. Ainsi, nous ne t’oublierons jamais, sois-en sûr ! Elle tint parole. Mieux, elle lui rendit au centuple le modeste amour qu’il avait un soir, déposé en sa case, près de la forêt.

    Chaque matin qui se lève au-dessus de l’océan ne ressemble jamais à un précédent. Jean Fernand, fils et petit fils et même arrière-petit-fils de marin, une nuit, s’était laissé prendre au piège de la tempête. On eût dit que les éléments voulaient se venger de quelques méfaits subis longtemps auparavant. Elle jeta l’équipage à la mer et le boutre fut drossé sur les rochers. Le capitaine et son adjoint furent sauvés, mais pour une courte durée. Au petit matin, les soldats du roi de la région mis au courant de la mésaventure des marins vinrent s’emparer d’eux et les firent prisonniers. Ainsi, dans cette famille où tant d’hommes furent tour à tour corsaires ou pirates, lui, l’effronté, fut le premier esclave blanc dans l’histoire de la grande île.

    Informée de l’infortune de son amant, celle qui lui avait promis de ne jamais l’oublier alla demander la libération du père de ses enfants, en offrant au roi des richesses considérables collectées le long de la côte, de village en village.

    Jean Fernand retrouva sa liberté, mais ne revit pas celle qui s’était tant sacrifiée. On disait qu’elle était partie loin à l’intérieur des terres. La rançon n’avait sans doute pas suffi, le roi lui avait imposé la séparation d’avec l’étranger.

    Il rejoignit son pays par des moyens de fortune et quand il revint sur la grande île, ce fut plus au nord où il s’établit.

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     

     


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