• Le courrier du coeur


    — À l’heure où l’on dénonce la mondialisation, ses vertus et ses vices cachés, il reste autour du monde des zones qui échappent encore à l’uniformisation. Elles sont des régions privilégiées qui abritent des villages dont nous pourrions croire qu’ils ont traversé le temps sans qu’il y imprime sa marque. Ils vivent au rythme d’un jour qui n’en finit pas d’être exaltant et on peut l’imaginer, aime à se tenir à la disposition des habitants. Chaque matin qui s’éveille ressemble à un cadeau envoyé par le ciel et les hommes ne nourrissent aucune impatience en guettant le facteur. S’il y a des bureaux de poste devant lesquels les queues s’allongent et grondent, devant celle-ci, on n’a jamais vu ni entendu la moindre manifestation.

    Le plus souvent, le courrier n’est même pas distribué. Ce sont les destinataires qui se déplacent, faisant une occasion supplémentaire pour se raconter les derniers potins de la forêt.

    S’ils se connaissent ? Bien sûr ! Ils sont nés dans le village, ont grandi dans celui-ci et ont fréquenté la même école.

    Souvent, ils épousent les voisins ou les voisines ; ainsi l’âme des lieux ne quitte-t-elle jamais la région et les traditions ne redoutent-elles pas la hantise ni l’anxiété de l’oubli. Le village où se trouve l’agence postale est sans doute moins peuplé que dans le temps. Cependant, il possède toujours son école, son église et son restaurant. Il est adossé à la forêt et se mire dans le marécage qui l’encercle. Il est sans aucun doute le mieux gardé de la région. Les célèbres caïmans noirs et leurs cousins dits à lunettes ainsi que ceux appelés rouges, en sont les gardiens. Ils sont toujours à épier les mouvements, des uns ou des autres résidants, qu’ils soient humains ou animaux.

    Votre courrier arriverait-il, si vous deviez m’écrire ?

    En douteriez-vous ?

    Combien de temps mettra votre missive ?

    Cela dépendra de l’avion qu’elle aura pris.

    Dès son arrivée dans notre pays, elle sera dirigée vers le bureau principal de la capitale. Les jours suivants, elle sera triée et acheminée dans une commune d’où elle sera triée à nouveau avant de prendre la route qui la conduira jusqu’au débarcadère. Elle empruntera alors la pirogue, traversera le marais avant de rejoindre l’agence. En somme, vous le constatez, rien d’extraordinaire ne s’est passé. Un jour ou l’autre, votre courrier finira bien par me parvenir.

    Pourquoi une telle réflexion ?

    Oh ! Pour la bonne raison que de l’autre côté de l’océan, quelque employé pressé ou distrait, dirigera votre courrier vers une destination africaine ou Sud-Américaine autre que la nôtre. Il lui faudra donc attendre qu’une main délicate et attentionnée la remette dans la bonne direction pour qu’elle continue son voyage. Elle s’enrichira de quelques tampons supplémentaires et de noms de pays que peut-être vous aurez déjà traversé des années au paravent.

    Vous comprenez pourquoi nous sommes heureux de vous lire après avoir découvert sur l’enveloppe les destinations successives qu’elle a connues avant d’arriver entre nos mains qui la tourne et la retourne avec un sourire non dissimulé éclairant le visage. On nous l’avait bien dit ; tout finit par arriver, il faut savoir être patient, voilà tout !

    C’est alors que l’on félicite l’expéditeur pour avoir presque calligraphié nos noms et adresses de lettres que l’on jurerait sorties tout droit du meilleur bureau d’architectes. Grâce à ces lettres solidement imprimées sur l’enveloppe fragile, elles ont transformé le mince papier en une maison si solide, qu’elles ne profitèrent d’aucune occasion pour tenter de s’évader, afin de nous rejoindre au plus vite dans notre forêt lointaine et mystérieuse.

    Je ne sais pas où en sont les discussions ; il fut un temps où l’on parlait de privatisation de l’administration postale.

    Privée ou non, notre agence postale fera toujours le nécessaire pour que notre courrier nous parvienne, dans le temps ou hors délais.

    Je ne vous cache pas qu’en ce qui concerne les factures, comme tout un chacun, nous ne sommes jamais pressés de les recevoir. Nous savons bien qu’une fois les chiffres disposés sur leurs lignes et dans leurs cadres, ils ne risquent plus de se multiplier. Privé ou d’état, peu importe la vitesse du courrier. Il n’a aucune raison d’être rapide ou non, car depuis toujours nous avons admis que les mauvaises nouvelles n’ont pas de prétexte particulier de se dépêcher à nous parvenir.

    Entre l’instant où elles sont couchées sur le papier et celui où nous les lirons, nous considèrerons que ce laps de temps se nomme l’espérance.

    Par contre, concernant le courrier réservé à l’amitié, même si nous sommes impatients de recevoir l’enveloppe parfois parfumée aux herbes du terroir, nous ne sommes pas sans savoir que plus longtemps durera son voyage, plus grande elle sera. Elle profitera de chaque arrêt pour grandir, tandis que les baisers se multiplieront, chemin faisant.

     

    Amazone Solitude


  • Commentaires

    1
    Vendredi 26 Août 2016 à 13:01

            Avec  l'informatique  il  semblerait  que  les  échanges  d'amour  et  d’amitié   se font   moins formel  .. Étant  si  loin  de  ma  famille , je reste a  penser  qu'une   lettre  ou  une  jolie  carte , est  plus  intime  plus  personnelle , peut-être  aussi  que  chez  nous  tout  le  monde  ne  croit  pas  en  l'internet  .Bien  souvent  le  courrier  n'arrive  pas  toujours  , comme  l'ordinateur , il  lui  arrive  de  se  perdre  en  chemin ..
      Bonne  journee  René ..
    A  bientôt ..      

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