• LE CRI DU CŒUR 1/4

     LE CRI DU CŒUR    1/4– Bonjour, monsieur Pierre. Je ne croyais pas que vous seriez monté, ce matin ; il est tombé tant de neige cette nuit, que vous ne pourrez sans doute pas vaquer à vos occupations aujourd’hui.

    – Il est vrai qu’il en est tombé beaucoup, même plus bas. Néanmoins, je vais voir si je peux finir les limites le long de la route forestière. Je le pensais bien, que je ne pourrais pas rejoindre les sommets ; c’est pourquoi je me gardais du travail du côté de la pépinière.

    – Venez donc prendre un petit quelque chose ; il ne sera pas de trop, avec ce temps !

    Pierre devinait de quoi Alberte parlait quand elle disait cela. Ce n’était pas un simple café qui attendait  au chaud sur le coin de la cuisinière à bois, que quelqu’un passe, et soit invité à rentrer. Avant, il fallait accepter une belle tranche de jambon, des œufs sur le plat accompagné de lard, et un morceau de fromage. C’est que dans ces pays de montagne, si manger est une nécessité, cela ne saurait être aussi autre chose qu’un chaleureux instant de vie et de plaisir. Et puis, entre deux bouchées, il serait passé en revue les potins de moment, les visites des uns chez leurs voisins étaient avant tout le colportage de nouvelles qui couraient dans la plaine, vraies ou fausses ; de toute façon, personne ne vérifiait la véracité des dires. À leurs connaissances, on s’estimait soudain, moins à plaindre, les douleurs des autres étant toujours plus vives que les nôtres.

    – Bon, ce n’est pas le tout, monsieur Pierre. Je bavarde, mais je dois aller traire les vaches, car elles s’impatientent. Vous savez, les bêtes aussi trouvent l’hiver trop long.

    – Je le comprends, surtout celles qui sont habituées aux alpages.

    – Je vous laisse en compagnie de Juliette. Elle a ordre d’être aux petits soins avec vous.

    – C’est trop gentil, Alberte. Vous me donnez plus que je ne puis vous apporter moi-même.

    – Je vous en prie, monsieur Pierre. En montagne, l’hospitalité n’est pas un droit ; c’est une règle et nous ne saurions nous y dérober. Une seconde, j’appelle la Juliette. Elle est à finir le ménage des chambres.

    – Oh ! Quelle heureuse surprise, s’exclama la jeune femme en rentrant dans la salle ! Nous disions justement avec maman que nous ne vous verrions pas de quelques jours, à cause de ce mauvais temps, et vous êtes là ! Vous avez dû souffrir au contour de la montagne. Je déteste cet endroit, tant le vent y est violent.

    – Vous avez raison de le redouter. Ce matin, il y avait d’énormes congères qu’il me fallût me détourner par la forêt, et celle-ci n’est pas pratique à traverser. Ses pentes y sont raides !

    – Quand même, monsieur Pierre, ils ne devraient pas vous obliger à venir travailler par un temps pareil ; sortent-ils de leurs bureaux, eux ?

    – Je vous rassure, personne ne me contraint. C’est moi qui le veux. D’ailleurs, je me suis suffisamment battu pour avoir la permission de continuer les choses convenues durant tout l’hiver que je ne saurai apporter de l’eau à leur moulin, en ne remplissant pas la tâche pour laquelle je les aie tellement ennuyés. C’est que dans le secteur, je suis le seul à être à mon poste. Les autres ouvriers ne reprendront leur emploi qu’à la fonte des neiges.

    – Je vais vous sembler un peu naïve, mais pourquoi êtes-vous l’unique personne à monter ? Si vous le faites, c’est que d’autres peuvent également vous imiter ?

     – Vous n’êtes pas innocente, Juliette. D’abord, pour ceux qui m’ont donné ce travail, c’est avant tout une question de budget. Habituellement, ils ne prévoient pas de dépenses pour cette saison. Ensuite, de tous les gens qui œuvrent sur le massif forestier de cette circonscription, je suis le plus jeune et en charge de famille. Comment pourrais-je nourrir ceux dont j’ai la responsabilité, si je ne viens pas ?

    – Quand même, je trouve cela injuste, monsieur Pierre. Est-ce qu’ils sont là, eux, constater vos travaux ? Je suis certaine qu’ils restent bien au chaud dans leurs bureaux.

    – Je vous l’ai dit, je suis le seul qui a décidé de ma condition. Personne ne m’oblige à être ici. Cependant, je reconnais que les tâches ne manquent pas pour qui a la volonté de se donner la peine de les effectuer. Et puis, voulez-vous que je vous dise ? Quand j’en aurai plein le dos de cette situation, je chercherai autre chose à faire dans la plaine.

    – Et ainsi, je ne vous verrai plus, monsieur Pierre. Enfin, quand je dis moi, en vérité, c’est nous, qu’il me faut préciser. Je peux bien vous l’avouer ; même sans venir chaque jour nous rendre visite, nous sommes si heureuses de vous savoir à quelque distance de nous. Nous écoutons, observons et sommes rassurés lorsqu’à ces quelques indices nous comprenons que vous êtes sur notre territoire.

    – Vous êtes gentille, Juliette. Ce que vous me confiez me touche profondément. Mais cessez de me donner du « monsieur ». Appelez-moi Pierre, tout simplement.

    – C’est que je n’osais pas. Vous êtes tellement différent de nous ! (À suivre)

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