• LE FEU SACRÉ

     

    – Je garde en ma mémoire tous les qualificatifs que l’on m’adressait alors que je n’étais pas encore en mesure d’en saisir toute la signification. Je retenais les citations qui éveillaient en moi quelque chose de douloureux ou de joyeux, de présent ou d’absent, de proche ou de lointain. Souvent, l’on me reprochait que je brûlais d’envies, et mon esprit se faisant médisant, me faisait comprendre, que c’était lui qui se détruisait par ma faute, et que je n’avais qu’à me contenter de ce que j’avais ? Combien de fois n’ai-je pas entendu faire feu des quatre fers ! À cet énoncé, je vagabondais par les prairies et les montagnes, tel le cheval nouvellement ferré par le maréchal du village, chez qui j’allais rôder. Puis vint le feu sacré, celui dont j’imaginais qu’il était inaccessible, puisque réservé aux érudits. Je me souviens aussi qu’en me regardant, on prétendait qu’en moi il couvait sous les cendres, et qu’il fallait s’attendre à ce que de grandes flammes sortent soudain de mon corps, pour expliquer que je complotais certainement quelques bêtises. Bref, les litanies dans lesquelles il était question d’étincelles, j’en ai tant écouté, que très vite il me plut de jouer le rôle du pompier afin que le village entier finisse dans le foyer. Pourtant il en est un qui fût toujours hors de ma portée, alors qu’il était si proche. Entendez par là celui qui avait pris naissance en moi dès les premières que la vie m’envoya. Je ne sus pourquoi ni comment il était entretenu, car jamais il ne s’éteignait. À mesure que je prenais de l’âge, les flammes me consumaient. C’est à cette époque qu’une petite voix me fit comprendre que si je désirais que mon brasier baisse en intensité, je devais le partager si je ne voulais pas que mon cœur finisse par remplacer les bûches qui l’alimentaient.

    Ce fut l’un de mes plus grands combats. Avais-je le droit de communiquer le feu à quelqu’un d’autre sans craindre que l’incendie m’échappe et embrase toute une région ? N’allait-on pas dire de moi que j’étais le diable en personne, sinon l’un de ses envoyés ? À cet instant de mes réflexions, une citation se présenta au balcon de ma mémoire. « Brûler la chandelle par les deux bouts » ! Voilà le risque que je prenais. Accélérer le cours de mon histoire, écrire les pages deux par deux, sauter des chapitres et apposer le mot « fin » au milieu d’un chemin à peine débroussaillé. Je retardais donc le jour d’une éventuelle rencontre, empruntais des routes nouvelles, m’égarais par les sentiers qui s’enfoncent dans les forêts. J’ai enjambé la mer, puis les océans, pensant naïvement que l’eau pourrait atténuer mes braises et ainsi me soulager. Certes, en mon cœur la chaleur disparut. Cependant, le feu n’était pas éteint pour autant, car sur ma peau roulait sans que je ne puisse l’empêcher une sueur tenace.

    C’est maintenant ; m’informa avec autorité la petite voix qui venait à nouveau de se réveiller, qu’il te faut aller à la rencontre de celle qui aura le pouvoir d’apaiser ton brasier, puisque tu ne sus le faire seul. Accepte la main tendue et ensemble, allez déposer les braises dans un foyer réservé pour cet effet. Pour la première fois de ma modeste existence, j’étais obligé de reconnaître que si j’étais un parfait incendiaire, en revanche, j’étais un piètre pompier. Je devais donc oublier certaines règles que je m’étais fixées, sans chercher à comprendre si elles me convenaient ou au contraire, si elles étaient inadaptées. Je ne sais pas, comment les uns et les autres traversent les épreuves qui leur sont proposées, mais me concernant, ce fut un moment parmi les plus désagréables. Abandonner a toujours été un mot douloureux pour moi, et je ne me voyais pas défaire mes bagages en chemin, pour trier les éléments qui ne m’étaient plus et conserver ceux qui m’étaient indispensables. Je me trouvais au cœur de la tourmente, malmené par les vents soufflant de partout. J’étais comme la feuille au bout du rameau, redoutant que, lassé d’être ainsi agité, celui-ci ne finisse par la détacher.

    C’est alors au cours du naufrage que la bouée me fut lancée. Elle était belle, discrète et m’avoua sans détour qu’elle m’attendait depuis toujours.

    – Si tu le désires, me dit-elle, cherchons un abri dans lequel nous pourrons faire un vrai foyer.

    – Je lui expliquais qu’il serait facile à allumer, car cela faisait des années qu’il brûlait en moi. À propos de feux de bois au cours de notre histoire, nous en avons fait naître des centaines, tous plus joyeux les uns que les autres. Parfois, nous avons sauté par-dessus, alors qu’à certaines occasions nous avons dansé autour.

    Depuis le jour de notre rencontre, en nous, le foyer ne s’est jamais éteint, car l’amour ne saurait se passer des flammes que le cœur lui transmet, afin de faire que les baisers et les regards soient toujours de braises.

     Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :