• LE LAPIN DE LA MÈRE MICHEL

     Depuis toujours, chacun y allait de la vieille chanson bien connue, de la mère Michel et de son chat, quand il évoquait la maison isolée du village, près de la rivière. La bâtisse, en elle-même, n’avait rien de réellement extraordinaire. C’était une fermette comme il s’en trouve de nombreuses, sur des propriétés divisées depuis des décennies. Le corps de la construction était une longère, pour partie étable, écurie, et chèvrerie. C’était là que résidait une femme d’un certain âge. Elle était vieille depuis si longtemps que personne ne se souvenait de l’avoir jamais vue jeune.

    Le lapin ? Elle l’avait sauvé d’une mort certaine tandis que sa mère s’en était allée au paradis de ses semblables et des lièvres. Elle l’avait élevé dans la poche de ce tablier dont on dit qu’il fait des choses merveilleuses tant il sert à tout. Voilà le mot lâché ; miracle ! Pourquoi employer ce qualificatif alors que l’on vient de parler d’un animal ? Qu’avait-elle donc de si particulier cette bête ? Je vous rassure ; en fait, ce n’est pas d’elle que je veux vous entretenir, bien que… 

    Si vous le désirez, suivez-moi. Nous allons rendre visite à la brave mère Michel, étant donné qu’elle est connue, et réputée sous ce nom, qui est devenu un sobriquet. Pour la petite histoire, je vous révèle la véritable profession de la dame, outre les quelques chèvres qu’elle élève pour le plaisir, ainsi que des volailles qui trouvent leur subsistance en grattant du matin au soir dans les alentours. Nous pénétrons chez la guérisseuse, rebouteuse et aussi voyante, la plus célèbre à des lieues à la ronde. Je sais, certains d’entre vous doutent parfois ; jusqu’au jour, où, un peu honteux, ils se présentent sur le seuil de sa demeure. Si vous avez la chance d’être dans les parages à l’heure de la rencontre, ne manquez surtout pas le dialogue qui s’engage entre l’hôte et le visiteur.

    – Eh ! L’ami, si c’est moi que vous voulez voir, il est inutile de rester dehors. Je ne reçois qu’à l’intérieur de la maison, même si elle ne vous semble pas de première jeunesse.

    – C’est que…

    – Je vous invite à rentrer. Chez moi, contrairement à ce qui se murmure, le diable n’y réside pas. Venez-en au fait, vous me ferez gagner du temps, et en même temps, vous, des souffrances en moins. À moins que vous ne désiriez que je vous dise quelle sera la couleur du ciel de demain. Vous avez coupé l’herbe et vous êtes pressé de savoir si elle pourra sécher avant la prochaine averse.

    – Il n’est pas question de cela, la mère…

    – Michel ; vous pouvez m’appeler ainsi, puisque toute la région me connaît sous ce nom dont on m’a affublée. Et puis, venez en fait et finissez donc d’entrer.

    – Voilà, depuis plusieurs jours, je ne peux plus me servir de la main droite. Et c’est bien gênant…

    – Puisque c’est celle-ci que vous vous utilisez le plus, n’est-ce pas ? Sortez-la de votre poche, que je vois cela !

    À partir de cet instant, aucune parole n’est plus prononcée. D’autorité, elle prend le membre atteint, l’ausculte, le fixe un moment, puis elle finit par dire :

    – C’est bien dommage que vous ne soyez pas venu plus tôt ; maintenant, vous en avez pour une grande semaine avant de recouvrer l’usage de tous vos doigts.

    – Vous pensez que je vais retrouver ma main comme avant l’accident ?

    – Oui, mais c’était indispensable que vous accouriez me voir. Encore un jour ou deux et la gangrène mangeait votre bras !

    – J’ai déjà une grosse boule ici !

    – Je m’en doute, car je distingue bien le sillon rouge-violet qui monte sous votre aisselle. Bon, maintenant, ne dites plus rien, laissez-moi faire.

    C’est que dans la famille, on était guérisseuse de mère en fille. Certains prétendaient même que la fille est plus forte que sa parente. On ne connaissait pas de maladies qui avaient osé résister à la mère Michel. Il arrivait bien qu’elle effraye un peu, quand la main droite posée sur l’endroit où souffrait la personne venait à chauffer tant qu’on eut cru du feu sur la peau. Elle tenait le majeur et l’index à la manière de l’évêque lorsqu’il touche le front du communiant. Ses lèvres prononçaient des prières connues d’elle seule, sans doute. Elle passait une première fois en tournant au-dessus de la plaie, puis y revenait sans cesser de psalmodier.

    – Ne te retiens pas, commandait-elle ; laisse monter le mal.

    À cet instant, la femme rentrait presque en transe et ses yeux disparaissaient sous les paupières. Pendant l’opération, elle murmurait des mots incompréhensibles, tandis que la main gauche caressait le lapin, toujours dans la poche. On en venait à se poser la question si ces deux-là n’étaient pas associés, tant ils étaient inséparables. Cependant, aucun des gens souffrants n’eut jamais à se plaindre ; ils revenaient lui rendre visite pour la féliciter en lui apportant quelques produits de leurs récoltes, car la mère Michel n’exigeait aucun argent.

    – Si je vous demande quelque chose, je perds mon don, disait-elle.

    Toujours est-il que la maison ne désemplissait pas, et cela faisait penser à la Cour des Miracles. Même le vieux docteur du village recommandait d’aller voir madame Michel quand l’état de son patient ne présentait pas d’amélioration. Si elle ne vous guérit pas disait-il, au moins apaisera-t-elle vos douleurs.

    En attendant, les grandes industries n’avaient pas encore inventé de maladies si graves qu’elle n’en vint pas à bout ; et quand elle rentrait dans une maison affichant son air radieux, elle prenait les devants en affirmant que la mère Michel n’avait pas perdu son lapin. À croire que c’était lui le magnétiseur.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     

     


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