• Le mirage des villes

    — Ce n’est pas parce que je vous tourne le dos que vous deviez en conclure que je suis fâché. Ce n’est pas une posture outrageante, bien au contraire. Je n’ai pas le caractère qui prend ombrage du premier petit nuage traversant un ciel d’azur. À ce point que je m’étais adapté dans un monde différent, qu’il me fallut bien des années pour comprendre ce qui m’était arrivé. La situation ne m’avait pas été imposée, sinon par les obligations dues à la vie et aux responsabilités familiales.

    Une erreur ? À n’en pas douter. Mais il est si difficile de reconnaître les siennes entre toutes celles des gens qui vous entourent.

    Pendant que les questions n’en finissent jamais de tourner et torturer l’esprit, le temps, lui, ingrat et indifférent à nos états d’âme, s’enfuit. Et croyez-moi, il est rapide ! Il est à penser qu’il possède mille paires de pattes et autant de voiles pour que le vent l’aide à détaler plus vite.

    Je vous disais donc que vous ne deviez pas imaginer que je vous quitte. Seulement, j’ai parcouru tant de chemin dans ma modeste vie, qu’il me faut bien comprendre les raisons qui m’ont conduit jusqu’à ce jour. Alors je recompte les pas effectués et je me demande si je les ai vraiment accomplis de mon propre gré ou si une force céleste m’a guidée sur cette route qui ne mène nulle autre part qu’à la désolation.

    Le désert, je le connais bien. D’aucuns penseront qu’il est une immensité ignorée et étrange où la vie ne s’y arrête qu’une fois de temps en temps pour s’y reposer.

    Qu’ils se détrompent, l’existence est omniprésente sur ces dunes et elle leur impose un rythme qui en essoufflerait plus d’un. De ce berceau qui m’a vu naître, que d’autres appelleraient l’antichambre de la solitude, je ne m’y suis jamais senti seul et abandonné.

    Même au plus fort de la chaleur alors que le bon sens vous impose de vous tenir tranquille sous la tente, observant les dunes, vous les voyez se mettre en mouvement. N’est-ce pas là le signe que la vie est bien présente sous le sable et qu’il nous suffit de le remuer pour nous en convaincre ?

    Oh ! Je vous le concède, ce n’est pas toujours ce à quoi l’on s’attend qui apparaît sous vos yeux. Ce peut être un scorpion, une vipère ou même une araignée. Mais ces animaux sous vos pas, c’est que d’autres éléments s’y trouvent également cachés, qui justifient la présence de ceux qui s’en délectent. Voyez-vous, le désert assure son équilibre, et en ce domaine, il n’a rien à apprendre des hommes. À certaines heures, sans que vous l’aperceviez si vos yeux n’ont pas l’habitude, se confondant dans le paysage, la gazelle vous observe, craintive, maintenant une grande distance entre elle et les hommes.

    Il est aussi bien d’autres phénomènes qui nous confirment qu’au milieu de nulle part, nous ne sommes jamais seuls. Le sable, poussé par le vent, dessine des vagues qui le font ressembler à un océan et comme les embruns, il vous cingle la peau si vous la maintenez découverte. Mais il sait aussi nous apporter les mélodies du monde, qui, pour être plus agréables encore, ont mêlé leurs notes pour en faire les plus beaux airs métis qui déclinent la vie de la Terre en de joyeuses cascades musicales.

    Après avoir fréquenté les villes, me demanderez-vous, pourquoi revenir en ce milieu plutôt hostile ?

    La réponse est tellement simple, que je m’étonne de ne l’avoir trouvée qu’après de longues années.

    Le désert, le vrai, celui qui ne pardonne aucune faute, il n’est pas celui que l’on pense en fixant les étendues arides. Celui qui m’a tout pris et qui m’a fait le plus souffrir c’est celui des villes qui créent et entretiennent les chimères. Les amis y sont rares parmi tous ceux qui marchent indéfiniment le long des rues et des chemins. À chaque instant, il se trouve quelqu’un en embuscade pour vous exploiter. On vous écrase et l’on y vole votre personnalité. On y torture votre âme, aussi, de même que l’on vous domine avant de vous diviser et de vous répartir comme les pions sur un échiquier où seuls les maîtres se réservent les parties gagnantes.

    Malheur à vous si vous tombez ! Vous serez certainement piétiné, car les mains charitables qui vous relèveront y sont peu nombreuses.

    D’ailleurs, voyez-vous quelques ombres accourir à ma suite pour me demander de retourner vers elles ?

    Voici les raisons qui me poussent à revenir vers mon désert qui sourit, heureux de m’accueillir en son immensité mystérieuse.  

    Lui au moins ne vous prend pas en traître. Il vous respectera, car il a deviné que vous étiez assez fort pour l’affronter et y survivre parce que vous l’aimez.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

      


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