• Le miroir

    Le miroir

    — Depuis des années, nous vivions ensemble, sans pour autant être l’un à côté de l’autre. Nous étions sous le même toit, dirions-nous, jusqu’à ce matin où je pris conscience que tu existais. M’aurais-tu fait un signe qui aurait attiré mon regard ? Je ne saurais le dire, mais soudain, il est vrai, je venais de te découvrir.

    — Comment ? Seulement aujourd’hui après toutes ces années pourrais-tu me reprocher !  

    — Oui, je le confesse bien humblement. Mais mon cher miroir comprend que pour moi tu n’étais qu’un meuble, un objet dans lesquels c’est davantage mon image que je recherchais qu’un regard sur l’ami fidèle que tu étais alors. S’il est vrai que je n’avais guère d’attention à ton égard, ne crois pas pour autant que j’ignorais que toi aussi tu m’observais et parfois même avec insistance.

    Ce n’est pas un reproche que je t’adresse, mais seulement le fruit de mes observations. En fait, ce n’est que ce matin que je réalise que tu cherchais certainement à percer mes secrets les plus intimes. C’est maintenant que je comprends tes petits sourires ironiques ; oh ! à peine perceptibles, il est vrai, alors que le temps s’amusait à creuser des sillons sur ma peau qui, contre son gré se prêtait au jeu.

    Je ne voudrai pas que tu penses que je t’accuse de quelque méfait que ce soit. Cependant, je dois te dire ceci : tu conserves par-devers toi les plus belles images de ma vie. Tu as dérobé mes sourires et mes heures heureuses avant de me montrer avec insistance mes yeux humides quand dans ma vie il faisait sombre. Si aujourd’hui les cheveux gris sont plus nombreux, je te soupçonne d’avoir conservé les blonds pour illuminer ton histoire.

    Tu penses sans doute que je ne sais pas pourquoi tu gardes précieusement mes émotions, détrompe-toi ! J’imagine aisément la raison qui te poussait à lire chaque matin dans mes pensées. C’est probablement parce que toi aussi tu possèdes une âme, qui, si elle demeure nue, est parfaitement inutile.

    Tu voulus la revêtir d’une enveloppe pour exister. Pour ce faire, il te fallut une victime innocente et c’est moi que tu choisis. Sans doute penses-tu que je t’en veuille pour avoir durant toutes ces années détourné ma silhouette ? Je te rassure, il n’en est rien. À demi-mot, je comprends que si la vie a été généreuse avec moi ce n’était pas tout à fait innocent. Il est temps de rendre ce qui m’a été offert, pour que quelque part une autre fleur éclose et qu’un cœur batte d’émotions nouvelles.

    Mais avant d’en arriver là, je souhaiterais que tu m’accordes une faveur. Si tu accèdes à ma demande, je te promets qu’à compter de ce jour, je te regarderais et te considèrerais différemment ! Accepterais-tu mon cher miroir de me restituer mes souvenirs, mes espérances ainsi que ma joie de vivre ? Mais aussi mon amour et surtout l’image qui m’accompagnaient chaque jour quand, devant toi, je m’attardais. J’avais encore mille questions à poser, autant de désirs à émettre quand je sursautais soudain. Le miroir que je croyais indifférent et muet venait de s’adresser à moi :  

    — Mon amie, contrairement à ce que tu imagines, je ne t’ai rien dérobé. Tout ce dont tu me demandes, je l’ai gardé précieusement, comme chaque mot que tu écris dans le journal que tu caches précieusement. Seulement, il ne recueille que tes pensées. Moi, j’ai le privilège de posséder les images de ta vie. Je savais qu’un jour tu me les réclamerais. Les veux-tu maintenant ?

    À mon tour de te demander de réfléchir, car tes émotions seront fortes. Tout au long de l’existence, les images qui ornent les histoires ne sont parfois que les reflets qui cachent les mots, les situations ou les rêves. Est-ce toujours ton désir de te revoir ?

    — Alors je baissais la tête comme une petite fille fautive et réalisant que l’on ne pouvait avoir vécue et demander au temps qu’il nous en accorde davantage. Il y a la belle robe de mariée, mais elle ne se porte qu’un seul jour. Non, répondis-je dans un murmure, garde au fond de toi cette autre personne que j’étais.

    Un jour peut-être une jeune fille se regardera-t-elle dans ce miroir, et grâce à toi, je revivrais en elle, même l’espace d’un reflet, un instant d’infini bonheur.

     

    Amazone. Solitude.


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