• LE MONDE PEUT BIEN S’EFFONDRER

     

    LE MONDE PEUT BIEN S’EFFONDRER  — On peut ignorer le destin, le provoquer parfois, mais nous devons lui reconnaître une force divine, une espèce de sixième sens qui lorsqu’il frappe à une porte préfère que nous le recevions sans état d’âme particulier. Quand il s’apparente à une joie, nous nous devons de le remercier, tandis qu’il se met en travers la route des pouvoirs maléfiques pour leur couper l’accès à votre maison, nous ne pouvons que le louer.  

    Mais alors, me direz-vous, quand il nous épargne des catastrophes, ne sommes-nous pas tentés de lui adjoindre une attention supplémentaire, celle qui viendrait du ciel, même si l’on feint de ne pas connaître son propriétaire ? Ne sommes-nous pas à ce moment précis à deux doigts de nous croire les obligés de cette force céleste qui étendit sa main pour nous préserver ?

     En voilà des questions ! me demanderez-vous. Si l’on est tenu à se les poser, c’est que quelque chose d’extraordinaire a dû se produire, pour soudainement, nous ramener à tant d’humilité. Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps. Je vous présente donc les circonstances qui sont coupables du changement d’état d’esprit de certaines personnes qui, la veille encore, étaient des gens comme vous et moi.

     Elles traversaient la vie sans précaution particulière et se prétendaient heureuses de leur sort. Comme chaque soir après une journée bien remplie, le couple rejoignit la chambre à coucher où les attendaient les rêves et autres songes qui ressemblent parfois à autant de châteaux de cartes, très colorés, mais d’une fragilité extrême. La lune n’avait pas encore fini sa course ; elle semblait même s’attarder au-dessus du village dont la savane cernait pareil un tapis de verdure pour adoucir les pas.

     Soudain, alors qu’une merveilleuse histoire hantait les esprits endormis, un bruit indescriptible emplit l’espace et ébranla la maison. La secousse fut si forte que l’on crut que celle qui prêtait sa quiétude et qui sommeillait s’apprêtait à se transformer en un tas de ruines. Enlacés comme ils l’étaient, ils ne pensèrent pas à eux. Leur nid revêtait à l’instant précis plus d’importance que leur propre vie. À l’extérieur, le grondement continuait à se faire entendre, se répercutant dans les jambes du couple qui venait de sauter du lit. Le sol ne cessait de trembler, les objets sur les étagères s’entrechoquaient, mais le toit restait bien en place. Ils se précipitèrent dehors et ce qu’ils virent les glaça de craintes.

     Sous la clarté de la lune, ils ne purent que constater que la colline qui résidait à cet endroit depuis le commencement avait disparu au fond d’un gouffre, emportant avec elle des bâtisses, des familles, tout ce qui faisait jusqu’à cet instant, une existence paisible.

     Dans ces moments pénibles où les pensées vacillent autant que les derniers frissons d’une terre agonisante, s’enchevêtrent, pêle-mêle, les sentiments. Sans  que nous nous en rendions compte, les mains  partent à la recherche d’autres mains comme si elles désiraient un refuge, dans lequel elles ressentiraient un cœur palpitant qui serait la confirmation que la fin du monde vient de tourner le dos à notre maison.

     Instinctivement, les lèvres tremblantes murmurent quelques prières qui ressemblent à des remerciements, car on peut ne pas croire en une force divine, nous serions bien ingrats de ne pas la gratifier de notre reconnaissance, de nous avoir épargnés. Surtout lorsque le regard plonge vers la falaise, tentant de nous expliquer avec des images aussi terribles sont-elles que la chance reste présente en toutes circonstances ? 

    Dans le silence retrouvé, une voix qui se voulait ferme même si elle vacillait toujours se fit entendre :

    — Le monde vient de s’écrouler alors que nous étions enlacés. Serait-ce parce que nous étions étroitement unis que le destin nous a ignorés ? Serait-ce donc bien vrai ce que l’on dit, quand on prétend que les sentiments peuvent renverser les montagnes ? Pourtant, d’autres que nous devaient connaître le bonheur en cet instant ?

    Avec des mots qu’il voulut simples, il tenta de lui expliquer que l’amour n’est pas toujours aussi violent que nous le supposons. Certains en usent avec modération, tandis que d’autres le rejettent très loin. Des déçus, probablement ! Ils avaient espéré que cet amour serait entré en leur demeure et qu’il suffisait à fermer la porte pour le conserver. Il y a ceux qui sont nés au milieu et qui n’ont rien eu à demander. Chaque jour ils se contentent de l’effeuiller comme une éphéméride. Au contraire, certains sont allés le chercher très loin avant de le ramener au village.

    Enfin, il y a encore d’autres qui l’ont construit patiemment pierre après pierre. Ils l’ont installé sur de solides fondations. Les murs sont parfaitement joints avant d’être ceinturés et sur eux repose une large toiture pour abriter les sentiments. Les pièces sont vastes afin que l’amour ne se heurte pas aux cloisons et qu’il trouve la place de vivre sans pour autant tourner en rond.

    C’est vrai que cet attachement est long à construire, car il se montre intransigeant. Il réclame avec une exigence particulière que chaque pierre passant entre ses mains frissonne de plaisir, comme si elles étaient des cœurs qui s’installaient les uns sur les autres, qui expliquerait que c’est moins le temps qui compte que la robustesse égrenant les jours.

    Alors le « monde peut bien s’écrouler », qu’importe, il ne nous empêchera pas de nous aimer, à « en perdre la raison » jusqu’à ce que nos âmes soudées ne fassent plus qu’une.

     

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