• Le regard de la vie

      

    Le regard de la vie

    — Son regard n’était pas comme tous ceux que l’on rencontre au hasard de nos flâneries. Il était si vaste, que l’on eut dit de lui qu’il était infini, à moins qu’il ne le fût lui-même. Il possédait quelque chose d’étrange, pareil à l’océan dont on aime s’y plonger, mais dont on redoute aussi ses colères. En le regardant, cependant, on avait envie de s’y baigner et ne plus jamais revenir sur la terre ferme. Mais peut-on raisonnablement résider toute une vie à la surface d’un simple regard ? Toute une vie… mais oui ! Voilà, je crois qu’il était la vie à lui tout seul !

    Une vie particulière, comme une cité fantôme dans laquelle on aperçoit des gens, mais dont les visages ne sourient jamais ! Une ville flottant dans l’espace, avec des rues si larges qu’aucun personnage ne s’y heurte à un autre, ils semblent se traverser sans même se voir ni se toucher. Les maisons sont aussi floues que les brumes des rêves et sur le seuil de leurs portes, jamais une main ne vient à la rencontre de la vôtre pour essuyer la larme suspendue aux cils, refusant de se laisser tomber par crainte de se perdre à son tour.

    Son Regard était à la fois beau et tendre ; heureux et malheureux, joyeux et triste.

    Mais comment peut-on être à la fois le jour et la nuit, me demandais-je ? Comment peut-il être ici et au loin, fixé sur nous et perdu dans le monde ? Il semblait me regarder, me dis-je alors qu’il escaladait les montagnes, voguait au-dessus la mer océane, séduisait le ciel dont les nuages s’étaient faits discrets afin qu’il puisse permettre au regard d’effleurer le ciel qui s’était rapproché, à la manière d’un amant qui veut déposer un premier baiser sur des lèvres qui semblent n’avoir jamais osé parler ?

    Oui, ce regard qui me fascinait doit appartenir à l’une de mes sœurs, me dis-je ; il ne peut en être autrement, car seuls les gens comme nous connaissent certains éléments de la vie que beaucoup ignorent qu’ils puissent exister. Seule la solitude peut se nourrir de l’infini, car comme lui, nous ne connaissons pas d’avant, nous ne savions pas où nous allions et jamais nous n’avons osé revenir sur nos pas.

    Oui, les gens qui ont connu les incertitudes et même les impostures de la vie connaissent les angoisses qui naissent dans les matins, tandis qu’eux-mêmes se retiennent encore aux nuées de la nuit de crainte d’affronter celles du jour.

    Cependant, alors que le gouffre les attend, chez ces gens-là, un sursaut d’orgueil leur rappelle qu’ils ne sont pas différents des autres. Ils sont faits de sang et de chair comme eux, ils vivent, travaillent, deviennent mères pour les femmes et pères pour les autres. Pour être définitivement comme les autres, il leur suffit de traverser la rue et marcher du bon côté de la vie. Plutôt que de poser le regard au-delà de l’horizon, il leur suffit de prendre la main tendue, car même si elles ne sont pas nombreuses, il ne fait aucun doute qu’il y en a toujours.

    Et puis, ce qu’il y a d’enfoui au fond de nous, nous ne pouvons le conserver à l’image d’une vieille pelisse. Un jour, nous devons changer d’habit ; c’est l’occasion pour faire le grand bouleversement au fond de nous. Pourquoi refuser de rentrer dans la vie par la grande porte ? Elle ne nous reproche rien et ne peut surtout pas nous rendre responsables des fautes que nous n’avons pas commises. Comment a-t-on pu imaginer que la saison oublieuse n’était faite que pour nous ?

    Nous devons nous rappeler qu’après elle, il y a le renouveau, puis les jours longs et chauds de l’été avant de retrouver le merveilleux automne qui accroche ses couleurs jusqu’au fond des yeux des hommes. Quand la saison hivernale revient, elle n’est que le repos de nos esprits toujours empreints des fragrances de l’été.

    Je regarde ce beau regard et je me dis qu’il pourrait appartenir à beaucoup d’autres que j’ai croisés sur mes chemins de misère. Je n’ose lui donner un nom, car il est celui de la tendresse jamais avouée, de l’amour dissimulé et surtout celui de l’espoir enfin retrouvé. Oui, je peux bien vous le dire puisque nous sommes dans les confidences : de mon existence, je n’ai jamais vu de jour qui ne succéda pas à la nuit. Si le soleil est unique, sur tous il projette sa lumière. Et si cela peut nous soulager, une fois au moins dans notre vie nous pouvons poser notre regard sur les autres et sur les choses qui nous entourent, car c’est au plus près de nous que se trouve notre part de bonheur. Quand nous l’avons trouvé, il nous reste à le protéger et le poser sur notre cœur, car il est le seul qui a le pouvoir de le faire battre en même temps que lui.

     

    Amazone.Solitude 


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