• Le temps des vœux 2/2


    Le départ du prêtre était alors précédé par une rapide bénédiction de la demeure et de ses occupants, après leur avoir fait promettre que cette année qui commençait les verrait plus souvent à la messe.

    Suivant le représentant de la religion, ce serait le tour de Marie-Pierre. C’était une petite femme au visage aussi ridé qu’une pomme ayant connu les rigueurs de l’hiver. Comme elle le faisait tout au long de l’année, elle allait d’une maison à sa voisine le parapluie vissé sous son bras. Elle annonçait avec l’accent de la tristesse, le départ d’une âme que la vie venait d’abandonner en chemin. En même temps, c’était encore d’autres nouvelles qui se faufilaient dans la maison. Elle connaissait tout. Elle n’ignorait rien de la commune et de ses résidents. Elle possédait aussi des informations sur les territoires environnants, ceux qui s’accoudaient aux limites du sien. Certains prétendaient d’elle qu’elle était de la famille à « Julie Larousse » !

    — Tu ne sais pas, raillait-on Demande à « Julie Larousse », avait-on l’habitude de dire.

    Attention, ces réflexions n’étaient pas méchantes ! Elles avaient même un caractère plutôt affectif et cela avait le don de faire sourire tout le monde.

    Venait ensuite le facteur. On ne pouvait pas ne pas le recevoir. Il était le lien indispensable avec le reste du pays. On se demandait comment il faisait pour rejoindre sa maison, à la fin de sa tournée. Chaque foyer lui avait offert son petit verre. Les mauvaises langues le prénommaient : l’alambic numéro deux !

    La journée s’avançait au rythme des visites. La cafetière n’avait pas le temps de refroidir que déjà il fallait songer à en faire une nouvelle.

    Le défilé des prestataires de service continuait. Ils étaient bien accueillis, car chacun savait que les uns et les autres participaient au bon fonctionnement de la vie du village. Mais entre tous, s’était établi une sorte d’entente, un jeu ou une stratégie. Sur le grand échiquier du temps, chacun poussait ses pièces en espérant que son voisin ne découvrirait pas ses intentions.

    Généralement, je profitais de ce que le repas fut entrecoupé pour prendre la poudre d’escampette comme on qualifiait ma sortie sans que personne ne s’en aperçoive. À ce sujet, la nourrice disait toujours :

    — Lui, le Robert ? Un instant il est ici. Le suivant, il a disparu ! Et pour savoir où il est parti, alors là, c’est une autre paire de manches.

    Ayant été obligé d’assister à certaines visites, je m’octroyais donc le droit d’aller à mon tour faire les miennes.

    J’allais alors chez les personnes âgées à qui j’avais l’habitude d’offrir un peu de mon temps, et où il n’y avait plus grand monde qui se bousculait comme on le disait d’une façon quelque peu cavalière. Je savais que ma visite ferait plaisir, mais elle n’était pas tout à fait désintéressée. J’avais eu suffisamment d’exemples sous les yeux tout au long de la journée, pour imaginer que si je voulais augmenter la somme qui sommeillait dans ma petite boîte, je me devais de proposer mes services.

    Il me fallait aussi écouter les gémissements des uns et les histoires des autres, racontées si souvent que je les connaissais toutes.

    Qu’importe, les gens parlaient. Pendant qu’ils se confiaient, ils ne pensaient plus à leurs souffrances morales ou physiques et pour eux, c’était bien une véritable nouvelle année qui commençait. Certains se lamentaient, prétendant que ce serait sans doute la dernière qu’ils entendaient frapper à leur fenêtre. Comme si j’étais quelqu’un possédant un pouvoir énorme, je leur affirmais alors qu’ils racontaient des bêtises et que des années, ils en verraient bien d’autres trépigner sur le seuil de leur maison.

    — Le Bon Dieu n’a pas pitié de moi, répondait parfois une grabataire. Je sais parfaitement que cette année qui s’installe, je ne la devinerai que de ma fenêtre, comme toutes ces dernières. Ma place n’est plus ici, mais aux côtés des miens, là-bas, au cimetière.

    — Allons ! Madame Marie, vous n’y pensez pas sérieusement, répondais-je vigoureusement. Le lieu où vous prétendez vouloir partir est bien trop froid ces jours-ci. Chez vous, il fait bon se tenir près de la cheminée !

    — Sans doute ; mais lorsqu’il n’y aura plus personne pour venir l’entretenir, il sera comme moi, inutile et éteint !

    — Je serai là encore pour longtemps, essayais-je de la rassurer.

    Toi ? Mon pauvre petit, disait-elle : Ta place n’est pas avec nous. Tu partiras, comme tous les jeunes s’en sont allés avant toi. Je ne sais pas vers où tes pas te guideront, mais je crois qu’ils te rapprocheront d’un lieu où l’espoir grandit chaque jour davantage.

    Que répondre à de telles paroles ? Cette dame avait raison. Personne ne doit rester dans le nid où il est né. La vie a donné des ailes aux oiseaux pour aller où il leur semble que l’existence est douce. Aux hommes, elle a offert des jambes pour parcourir le monde.

    Je savais que c’était encore trop tôt pour devenir vagabond, mais au fond de moi, comme le devinait l’aînée ce jour-là, bouillonnait déjà le désir de l’aventure.

    Puis je faisais une nouvelle visite, puis une autre, jusqu’à l’heure où le premier jour sombrait dans les ténèbres brumeuses du premier soir de l’année.

    Le temps des vœux était riche d’enseignements de toutes sortes. Je savais que je ne trouverais pas le sommeil avant d’avoir repassé tous les évènements qui s’étaient succédé durant cette courte journée d’hiver, pourtant qui paraissait infiniment longue.

    Dès mon retour, on m’avait signifié que le lendemain serait consacré à la rédaction de cartes de vœux, et c’était certainement une autre cause qui faisait que Morphée était absent, alors que le froid qui régnait dans la pièce n’y était en rien responsable, même s’il installait une couche de glace sur l’eau contenue dans la bassine. C’était l’excuse que chacun avançait pour s’exempter de la toilette de chat, comme on la nommait alors.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     

     

     


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