• LE TEMPS DES VŒUX ½

     

    LE TEMPS DES VŒUX ½  LE TEMPS DES VŒUX ½  

     

     – En ce temps là, au village comme dans ses environs, s’installait une saison très étrange. On eût dit alors que, comme à la triste période de la Grande Guerre, comme on la nommait sur les champs de bataille était décrétée une trêve. Les canons et les autres instruments de mort se taisaient. Seuls persistaient les cliquetis des armes que l’on fourbissait, ainsi que ceux des chargeurs que l’on remplaçait.

    Cependant, afin que personne n’oublie que les belligérants se battaient toujours, au-dessus des hommes, flottaient les remugles de poudre et de mort pour que chacun garde en mémoire les rancœurs qui avaient poussé les uns et les autres à en découdre.

    Certes, il était rare que l’on en vienne à prendre les armes entre villageois, mais en ce temps où les esprits s’apaisaient, on décidait alors qu’il n’était plus l’heure de se tourner le dos. De toute façon, personne ne se souvenait ou ne faisait l’effort de savoir comment étaient nées ces vieilles querelles. On ignorait depuis combien de temps elles duraient, et l’on avait même oublié les gens qui les avaient engendrées et encore moins les raisons qui avaient poussé les voisins à se haïr. Tel un précieux héritage, on se contentait de transmettre les « on-dit et les suspicions » qui pesaient alors sur tout le village.

    Ce jour qui avait vu l’an nouveau rentrer chez chaque habitant restait un jour particulier. Lorsque l’on se croisait, on se souhaitait une rapide bonne année. Personne ne s’attardait, prétextant le froid glacial et le vent tourbillonnant qui hésitaient avant de s’engouffrer dans une rue ou par la porte d’une demeure restée ouverte. On se regardait parfois, en évitant toutefois de se fixer dans les yeux pour que l’on ne devine pas que la bonne santé qui suivait la citation de celle de l’année n’était pas si sincère que l’on essayait de le faire croire.

    Ce premier jour qui succédait à tous ceux après lesquels on avait maugréé était aussi celui des promesses. Une fois encore, même si elles étaient plus nombreuses que les jours qu’affichait la nouvelle année, tous savaient que bien peu seraient tenues. Pourtant, il n’est besoin de rien d’autre pour respecter sa parole que de la volonté, péroraient les rares personnages qui avaient réussi à dompter quelques vieilles habitudes.

    Comme on le disait alors il ne coûte rien de donner quelque chose que l’on ne détient pas réellement ou qui appartient à ses voisins.

    Bien que l’hiver soit parfaitement et durablement installé, pour des observateurs attentifs, sur les visages des villageois, soudain, s’affichaient les rayons que le soleil avait oubliés en chemin. Ce qui faisait dire à l’ouvrier boulanger à qui voulait bien l’écouter, qu’il n’y avait que la foi qui sauvait les apparences.

    Comme pour s’excuser de s’être laissé surprendre à sourire, certains prétendaient haut et fort qu’une couche de peinture embellit le mur, mais qu’elle ne possède pas le pouvoir de le réparer.

    Cependant, en ces temps de janvier, on sortait plus que d’ordinaire, pour faire des choses ou des visites dont elles-mêmes auraient dit qu’elles pouvaient bien attendre.

    Ainsi, à la maison où grandissait le jeune Robert, comme chez les voisins, la coutume était bien établie. La première démarche serait celle de la laveuse à qui la famille était fidèle depuis de longues années. Ses mains étaient déformées par des années d’un ingrat labeur dû à la profession. La nourrice prétendait qu’elle était curieuse comme une vieille pie ! Avant même qu’elle ait ouvert la bouche, on savait ce qu’elle allait demander :

    – Je ne voudrais pas passer pour une indiscrète, mais dites-moi donc qui étaient ces gens que vous avez reçus hier.

    En vérité, elle n’avait pas besoin de venir s’informer si elle continuerait à laver le linge. Mais elle préférait l’entendre préciser en même temps qu’une petite pièce rejoignait la grande poche centrale de son tablier. Quelques autres paroles seraient échangées, bien vite colportées lors des visites suivantes. Tout le monde savait pertinemment que chacun rajoutait un chapitre personnel aux dires précédents, ce qui avait pour effet, à la fin de la journée, de transformer une histoire simple en une très compliquée, à laquelle plus personne ne comprenait rien. Au soir de cette journée, les affaires intimes des villageois gisaient pêle-mêle sur la place ; bien malin serait celui qui aurait reconnu les siennes. On n’en prenait pas ombrage, car tout le monde trouvait son compte dans les ragots des uns et des autres.

    Ce n’était pas seulement le temps des vœux ; il était aussi celui des étrennes.

    Était-ce à cause de la couleur de leurs longs vêtements noirs qu’ils se suivaient ? Nul ne l’aurait affirmé. Cependant, la seconde visite était celle du père curé, comme on nommait le doyen de la commune.

    Il prétendait n’être animé que par les meilleurs sentiments que lui conférait la maison de Dieu. À ces propos, personne n’était dupe. Comme pour confirmer les doutes qui s’étaient installés dans les foyers, il serait vite fait allusion au denier du culte sans lequel l’église ne pourrait survivre aux temps modernes. Après quelques instants d’une visite menée au pas de charge, le prétendu représentant de Dieu repartait enrichi de quelques petits francs et la promesse que plusieurs messes à l’intention des défunts seraient dites dans les jours à venir.

    Pour qui l’observait, on se rendait à l’évidence. En même temps qu’il noircissait son calepin, il remplissait sa bourse. Mais comme chacun voulait avoir bonne conscience, on fermait les yeux. (À suivre).

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

     

     


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