• LE TEMPS EST L’ÉPOUX DE LA NATURE

    – Lorsque je chemine par les sentiers forestiers et que je vois le bois qui s’aligne, telle une armée en campagne, j’ai toujours une pensée émue pour ces troncs réduits, comme si l’on voulut les empêcher de nous conter leur vie. On leur a coupé la parole avant qu’ils puissent nous dire la vérité. Ah ! Si la nature pouvait parler, elle nous en confierait des choses, dont jusqu’à nos jours, nous refusons qu’elles soient divulguées. En sa mémoire, les moindres détails sont enregistrés. Elle est transmise d’un sujet à un autre sans être déformée ni falsifiée, car au contraire de nous, elle échappe au formatage. Certes, on peut la conduire, la tailler, la cultiver, mais jamais elle ne se départit de son caractère initial. Il suffit de fouiller dans ses souvenirs, c’est-à-dire le sous-sol forestier, pour remonter à ses origines.

    Ce que je trouve dommageable, c’est que maintenant, nous soyons encore obligés de dire et répéter à qui veut bien l’entendre, c’est que l’environnement dans lequel nous évoluons est vivant. Oui, la nature a une âme et un cœur. Elle exulte ou souffre, fleurit ou dépérit ; en toutes saisons, elle nous inonde de ses fragrances, mais depuis toujours, elle protège en toute modestie, les remèdes dont nous ne devrions pas nous passer. Contrairement à ce qui se concocte dans nos sociétés, fabrique-t-elle des produits qui rendent malades les hôtes de la forêt qui les consomment ? Je ne prétends pas qu’elle ne fait pas d’erreur. Parfois, les créations devancent les intentions, et il en résulte que quelques-unes des espèces végétales sont toxiques. Cependant, pour celui qui prend le temps de se pencher sur elles, il est facile de deviner qu’elle met en garde ceux qui seraient tentés de les déguster, en posant sur elles des couleurs si particulières, qu’aucun animal n’est assez stupide pour se laisser berner, comme si un elfe les avait prévenus que tout ce qui brille n’est pas de l’or.

    C’est ça, la nature, une mère prévoyante pour ses enfants ; mais nous refusons toujours de le comprendre. En vérité, nous transformons notre faiblesse en une force virtuelle, pour nous libérer de l’emprise de notre environnement. Nous ne voulons pas céder un pouce de terrain, nous imaginant que notre pouvoir est supérieur à ses réalités. Pourtant, il suffit de regarder autour de nous. Quoi que nous fassions, elle résiste, se modifie pour échapper à nos pensées dévastatrices. Il est intéressant d’observer et de nous comparer à toutes les créatures avec lesquelles nous partageons notre planète. Nous sommes les seuls à nous plaindre des marques que le temps nous inflige en s’appuyant négligemment sur nos épaules. Nous dénonçons et souvent amplifions nos douleurs, les rigueurs estivales ou hivernales, et cela pour une bonne raison. C’est que nous n’avons pas la possibilité de nous prémunir naturellement des changements climatiques et d’autres agressions qui nous viennent du ciel. Les animaux mettent une tenue appropriée, les végétaux cessent d’évoluer pour traverser les grands froids. Par les fortes chaleurs, afin d’économiser l’eau si précieuse, les feuilles ferment leurs poumons aux heures chaudes et les rouvrent à la fraîcheur retrouvée. Pour toutes ces entités, le temps est un allié. Regardez ce qui se passe chez les arbres. Le cœur est au milieu du tronc. Il en est le pilier autour duquel l’existence dépose sa protection. Au cours de sa vie, les saisons installent des cernes. Certains seront serrés, indiquant une année difficile, d’autres seront écartés des précédents, justifiant une année riche en pluie. Plus les ans se font nombreux, et davantage la végétation s’embellit. Elle fleurit, s’étire, se pare de mille couleurs.

    Chez nous, pauvres humains qui refusent d’accepter la réalité, les ans impriment des marques différentes. Ainsi, allons-nous plus doucement lorsque l’automne de notre vie sonne à notre porte. Les cernes se transforment en de profonds sillons qui strient nos visages, tandis que notre peau semble frissonner comme une mer abandonnant son orgueil sur les plages, dont le sable s’empresse d’enfouir les souvenirs. Le cœur se fait modeste et ne scande plus les heures heureuses, la mémoire s’emmêle dans les images et les mélange, les mots se font rares et les sourires n’éclairent plus nos figures joviales d’antan. Notre pas devient incertain, sans cesse à la recherche d’un obstacle, et au fil des chemins, nous déposons sur la mousse nos illusions. Certes, la nature rayonne, comprenant que nous sommes en perdition, comme si elle cherchait à nous communiquer sa joie de vivre et nous dire que chaque jour doit être traversé avec entrain. Hélas ! Fiers et obstinés nous étions, et jusqu’au bout nous le resterons, puisque même au plus profond de notre faiblesse, notre esprit refuse de se rendre à l’évidence. La forêt ne sourit pas de nos malheurs, car elle est indulgente. Au premier jour, elle se fiança au temps, jugeant qu’il lui était indispensable. Rapidement, ils s’épousèrent, et depuis, chaque saison l’une fleurit pour indiquer à l’autre que leur union est plus solide que jamais.

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