• Le temps maîtrisé

    Le temps maîtrisé

    — Ah ! Qu’il eut été merveilleux de posséder le temps, afin de jouer avec lui comme les doigts courants sur les cordes de la harpe ! Pour ce faire eut-il fallu se faire poète, chanteur ou devin et même une déesse possédant un grand cœur. Alors, intimement liés à nos faiblesses et nos envies, nous sommes réduits à effeuiller le temps comme on le fait de la marguerite ou des cœurs passant à proximité de nos yeux.

    — Tous ?

    — Non pas tous. Un homme a réussi là où tant d’autres ont échoué. Lui a su, car il avait le cœur assez gros pour comprendre et aimer. Il a deviné depuis toujours que la vie n’exigeait rien de particulier des hommes. Ils devaient seulement se contenter de la traverser sans chercher à se l’approprier, car elle est une, et dispense sa lumière au plus grand nombre.

    Notre homme, qui fut certainement un griot doublé d’un amoureux immodéré du naturel, savait que pour atteindre la sublimation il n’était point besoin de se prosterner du matin au soir en laissant l’esprit se débattre avec moult prières qui se bousculent dans un ciel le plus souvent obscurci par les mauvaises intentions des uns et des autres.

    Oh ! Lui non plus n’avait pas échappé à cette angoisse du temps qui semble jouer avec les plus faibles, qui se désolent de ne pouvoir le sentir ni le retenir, sans jamais pouvoir l’expliquer ni le transmettre. Alors il se dit qu’il n’avait pas été mis sur la terre pour n’être qu’un simple exécutant. Ce qui lui manquait, il se doutait bien qu’il devait également manquer à tous.

    Il se posta donc au milieu de sa propriété et laissa son imagination courir sur le fil invisible de son regard. Il déchiffra que le moment de réaliser ses désirs était venu quand il eut fini ses observations.

    Il comprit que l’aura qui emprisonne les corps est parfaitement inutile si elle ne peut être vue et mise au service de l’humanité.

    Il se dit que ce qu’il ne pouvait obtenir avec des mots ou des suppliques, il le réaliserait avec ses bras et ses mains, premiers outils qui furent donnés aux hommes et qui, depuis révèlent toujours le moi profond qui sommeille au fond des êtres humains.

    De sa modeste maison, le riziculteur en fit le centre de son monde. Partant du seuil de celle-ci, dans toutes les directions il traça les limites de ses rizières, imitant une immense horloge, prolongeant ses fuseaux jusqu’au pied de l’horizon.

    Il pensa que du temps, il en avait à sa disposition, puisqu’il venait de le créer.

    Il ne prit aucun repos, ajoutant sans cesse un fuseau à un autre, afin que le dernier un jour rejoignît le premier.

    Pour atteindre cette perfection, point ne fut besoin d’artifice particulier. Des mains, la volonté, une paire de bœufs et une charrue d’une autre époque suffirent pour égaler l’artiste, dépasser le philosophe et tous les penseurs réunis.

    Des mots, il n’en connaissait pas suffisamment pour devenir poète. Il confia donc ses espoirs à son imagination qui l’aida à confectionner une œuvre qui sut joindre l’utile à l’agréable. Elle nourrit les ventres et les esprits, ravit les regards et défie le temps désolé d’être ainsi maîtrisé.

    Sans fierté, cet homme admirable pourrait se proclamer le temps lui-même. Il peut tout à loisir parcourir aujourd’hui, hier, demain et tous les autres jours. Il pourrait même être le soleil qui rayonne sur le monde qu’il a divisé et sur lequel il ne se couche jamais.

    Par la disposition parfaite des fuseaux s’allongeant à l’infini, il imagine les autres peuples faisant la ronde autour du monde, se tenant par la main, car les fuseaux ne divisent pas l’espace, mais le réunit en le soudant en son centre.

    Grâce à lui, sur son monde la nuit n’étend pas ses craintes et ses angoisses, les cauchemars n’ayant aucun recoin pour y installer leurs histoires. Par son amour et son respect de la nature, l’homme a égalé le temps, en lui imprimant ses pensées qu’il le charge de disséminer à travers l’espace.

    Sans forfanterie littéraire, cet homme nous fait comprendre que chacun de nous peut, à la place qui lui est réservée, offrir le meilleur de nous même.

    Vous le constatez, l’imaginaire aidant, il est inutile d’aller chercher ailleurs pour comprendre que le bonheur se trouve tapi près de chez nous et qu’il nous suffit de le découvrir. 

    Fermer les yeux est parfois salutaire pour rencontrer le voyageur qui sommeille en nous. Nous devons le laisser vagabonder sur les traces du temps dont il ignore s’il est ou non partagé, puisqu’il le parcourt en tous sens, le remontant même quand ses pensées le lui réclament.

     

    Amazone Solitude


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