• LES CHEMINS QUI MÈNENT A VOUS

     

    – Depuis toujours, j’ai un faible, que dis-je un véritable engouement pour les chemins qui m’éloignaient d’une réalité difficile à supporter, et dans laquelle je ne me reconnaissais pas. Il est donc normal que ces routes qui m’invitaient à les suivre, je ne leur refuse pas mon pied, car c’est vers la liberté qu’elles me conduisirent. Je me doute que certains en déduiront, que c’était l’époque de l’insouciance, celle du rêve, et je ne sais quoi d’autre. Sans doute aurez-vous raison pour la part des songes. Toutefois, en moi, rien ne se mélangea vraiment. Le vieux proverbe dit « qu’à chaque jour suffit sa peine », et mon esprit fonctionnait dans le même sens. Je pouvais m’inventer des histoires, mais celles-ci ne faisaient jamais d’ombre au jeune personnage que j’étais, celui qui avait deviné depuis l’âge auquel on commence à avoir des désirs que les pensées ne peuvent être que les compagnes de nos jours gris.

    Donc, du haut de mes courtes jambes chaussées de sabots remplis de paille, je flânais dans la campagne. Je ne sais pas si vous en avez eu connaissance, mais on prétend que les yeux d’enfants voient tout en grand et toujours plus beau. En fait, je ne le crois pas. C’est parce que notre vision est déjà très développée, alors que notre corps n’en est qu’à sa première croissance et que tout ce qui nous entoure paraît démesuré, par rapport à nos repères. Toujours est-il qu’au bout de mes layons, il devait y avoir un aimant qui m’attirait vers les lendemains, tandis que chaque jour, mon chemin de croix s’éloignait.

    Qu’ils étaient beaux, ces chemins que je choisissais toujours bordés d’arbres séculaires, car en toutes saisons, ils semblaient me raconter leur histoire ! Planté puis abandonné, je me doutais qu’ils n’étaient pas sans se rendre des évènements auxquels ils assistaient. C’est alors que je pris conscience qu’eux aussi avaient un cœur, et qu’en conséquence de quoi comme tous les éléments qui ont la chance d’en posséder un, il n’était pas possible qu’à un moment ou à un autre, ils ne connussent pas de souffrances. Ils ne versent pas des larmes, mais par leurs blessures, comme le fait le sang chez les hommes, la sève s’écoule en longs traits bruns ou clairs selon les variétés. Je ne sais pas s’ils ressentaient la chaleur de ma main, mais j’aimais à la passer sur les cicatrices, comme si je pouvais leur apporter du baume. À l’automne, la tristesse m’envahissait, découvrant que le vent, sournoisement, décrochait les feuilles, et les emportait sans ménagement sous les grands bois. Tels des membres décharnés, les rameaux se tendaient vers le ciel pour lui demander pardon, mais celui-ci les ignorait.

    Puis, le temps vint où mon pas se fit plus sûr. Ce fut celui qui me vit migrer. Jamais je ne m’étais imaginé que des routes, autour du monde il y en avait tant. Comme les lignes de chemin de fer, découvertes plus tard qu’elles se croisaient, allaient dans le même sens côte à côte ou se séparaient par la faute d’un agent aiguilleurs. Alors, le destin devait suivre une voie. Pas forcément celui que l’on pensait qu’il nous était réservé, car aux dires des gens, il ne convient jamais. Sur ce point, je suis prêt à me ranger à leurs avis, bien qu’après réflexion, je me demande s’il ne nous appartient pas de le forcer, à tout le moins l’orienter.

    Mais nous sommes une humanité pressée. Depuis l’aube des temps, ce que nous désirons, nous le voulons tout de suite, ce qui n’est pas la meilleure solution, car dans la vie, rien ne vient à nous que nous sommes allés cueillir. C’est ainsi que sans me bousculer plus que la raison me l’imposait, je continuais ma longue marche. Ne me demandez pas ce que je cherchais. Les trésors sont les enfants pauvres des chimères qui les abandonnent un peu partout, à la manière du vent qui dissimile les graines. Et puis, que pourrai-je faire, d’hypothétiques richesses, alors que je possédais la plus grande d’entre elles, la liberté ? En chemin, je ne ramassais que des petits bonheurs dont j’éprouvais une joie immense à les offrir à ceux qui étaient passés sans les voir. Le vrai plaisir, c’est celui que je ressentais en échange d’une accolade, et que l’on me gratifiait d’un sourire. Que c’est beau, un visage qui s’éclaire, m’exclamai-je, à l’instant où je le recevais ! Que c’est doux, un regard, quand il vous caresse ! Avais-je besoin de plus, pour ajouter à ma satisfaction ? À cet endroit de ma modeste histoire, j’avouerai que oui, je désirais davantage. Mais je ne vous fais pas languir. Ces chemins qui mènent à vous, je ne les ai pas découverts sous les frondaisons des grands bois ni sur les plages qui ourlent les océans. Je me suis pris les doigts dans la toile qui emprisonne le monde, et où je vous vois chaque jour. Merci de l’amitié que vous me portez. Soyez certains que je la cultive comme si elle était l’un de nos enfants. Je suis heureux que tous les sentiers ne conduisent pas à Rome, j’en connais quelques-uns qui sont jalonnés de cœurs qui battent la chamade dès que les yeux se posent dessus.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


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