• Les fiancés d'antan. suite et fin


    – Parfois, tu es vraiment nulle, mon Alphonsine. Bien sûr que non, je n’écoute pas ce qui se passe chez les gens ! Mais moi, lorsque je suis sur les marchés avec le père, je tends l’oreille ; et je peux te dire qu’il s’en dit des choses, qui n’ont rien à voir avec les bêtes qu’ils sont venus vendre ou acheter. On y échange aussi de bonnes adresses, des lieux où les buissons sont fournis, mais pas seulement en mûres et autres prunelles ; ils le sont surtout de belles bergères qui ne refusent jamais rien à qui sait leur parler, si tu vois ce que je veux te faire comprendre !

    – Mais cela ne m’explique pas les raisons pour lesquelles les mariages ne sont pas solides ?

    – Eh bien, c’est bien simple. Des gens nouvellement unis découvrent trop tard qu’en fait, pour la chose, ils ne s’entendent pas ; voilà !

    – Attends un instant ; tu cherches à me dire qu’avant de passer devant le maire et le curé nous devrions faire comme pour nos sabots, les essayer puis les acheter s’ils nous vont parfaitement ? Ou la soupe, la goûter pour voir s’il n’y manque pas quelque élément. Tu n’es pas sérieux, mon Augustin !

    – Je te fais remarquer que c’est toi qui parles de chaussures et de potage, alors que j’essaie d’expliquer des choses le plus simplement possible.

    – Ne me prends pas pour une idiote, Augustin. Tu es à me dire que si tu ne te sens pas bien dans tes nouveaux sabots, tu es prêt à en changer ? Pour de plus grands, voire des petits ? Des vernis ou en bois brut ? Eh ! bien, tant pis pour toi. Pour ce dimanche, je préfère que nous arrêtions là notre promenade en amoureux, puisqu’elle ne nous permet pas de parler de sujets sérieux.

    – Hé ! Ma fille, où t’en vas-tu si vite, lança sa mère ?

    – L’Augustin s’ennuie tant avec moi aujourd’hui, qu’il éprouve le besoin de m’entretenir de choses qui ne m’intéressent pas ; notamment de certaines paires de sabots dont il ferait bien de savoir lesquels choisir. Me concernant, j’ai toujours préféré ceux que le père fabrique dans le bois de bouleau de notre forêt. Ils sont si légers aux pieds qu’on croirait marcher sur de la mousse à longueur de journée.

    – Attends Alphonsine, on peut parler d’autres choses, puisque tu le désires, lança Augustin quelque peu désemparé. On ne va pas rester fâchés, quand même pour quelque chose qui ne nous concerne pas. Et puis, si le temps demeure au beau, nous allons entamer les fenaisons, ce qui veut dire que d’une quinzaine, nous ne nous verrons pas. Est-ce bien cela que tu cherches ?

    – Je ne le désire pas plus que toi, cher idiot, tu devrais le deviner. Même que cela va me peser, cette séparation. Tu sais, il te faut bien comprendre qu’au fond de moi, je suis aussi ennuyé que tu puisses l’être. Mais d’un autre côté, je ne puis m’empêcher d’avoir quelques pensées étranges, après ce que tu prétendais tout à l’heure.

    – Allons bon, voilà que tu recommences ? Dis-moi donc ce qui te chagrine à ce point que cela est à te tourner les sangs.

    – Contrairement à ce que tu imagines, mon Augustin, moi aussi, j’entends parler, même si ce n’est pas sur le foirail. Tu sais, dans les boutiques du village, on y échange beaucoup des mots, des secrets qui n’en sont plus puisqu’ils sont à se pavaner sur les étals de toutes sortes et que certains vont même se nicher sur les étagères les plus hautes, où ils se vautrent dans la poussière, comme s’ils cherchaient à en profiter pour prendre de la valeur et du poids.

    – Au lieu de tourner en rond et me faire visiter les magasins, tu ferais mieux de me dire ce qui te tracasse l’esprit, mon Alphonsine.

    – Eh bien soit ; pendant que les hommes s’échangent, d’après tes propos, certaines « bonnes affaires » moi, j’observe le comportement étrange de certaines dames, vois-tu. Je pourrais même te citer des noms, mais je ne le ferai pas, afin que mes dires ne prêtent pas à des sourires.

    – Mon Dieu, Alphonsine, je ne t’ai jamais entendu parler ainsi ! Ne croirait-on pas que tu viens de découvrir des événements qui pourraient arrêter la marche de la Terre ? C’est donc si grave ?

    – Pas plus important que vos discours de messieurs, mon ami ; mais différents. Entre nous, les femmes, les choses ne se passent pas de la même façon que chez vous les hommes. Il ne se dit presque rien, mais il suffit d’observer discrètement ; lorsqu’une dame regarde en l’air, tandis que sa voisine cherche quelque chose au sol, c’est qu’entre les deux il y a une affaire de maris.

    – Oh ! Tu penses que le gars de l’une courtise celle de l’autre ? À moins que ce soit les deux et qu’elles font semblant de l’ignorer ?

    – Si tu appelles faire la cour, le fait d’essayer les sabots, après tout, c’est comme tu l’imagines ; mais je te laisse la responsabilité de tes propos.

    – Ha ! Du coup, permets-moi de rire ! Et sans vouloir me montrer curieux, il y a beaucoup de dames qui ont de tels comportements ?

    – Plus que tu ne peux le penser, mon cher ! Il y en a même qui ne rentrent dans les boutiques que lorsqu’elles sont sûres de ne pas y croiser certaines personnes !

    – D’accord, mais ce n’est pas tout le monde, quand même, mon Alphonsine. Il y a aussi beaucoup de gens ordinaires. Je crois pouvoir te dire que lorsque nous serons mariés, cela ne se passera pas ainsi. Tu pourras rentrer dans tous les magasins que tu voudras sans hésiter ni éviter personne ! Tu connais mon amour toi, ma chérie ; les années n’en viendront pas à bout, je te le jure.

    – Oui, mon Augustin, avec la naïveté qui est tienne maintenant, je te crois de toutes mes forces. Mais d’un autre côté, je ne puis m’empêcher d’être réaliste. Tu comprends, le temps passe si vite sur les gens, les choses et les bêtes, qu’elles changent, tel le ciel sait être bleu ou gris. Aujourd’hui, tu me dis des mots doux, tendres, tu choisis des phrases qui frappent mon esprit et mon cœur et cela me touche beaucoup. Mais qu’en sera-t-il de tes sentiments lorsqu’ils auront subi l’usure des ans ? Je ne peux retenir mes pensées d’imaginer que chez nous, il en sera de même qu’à la maison aujourd’hui, quand j’entends mon père donner « de la mère » à maman, comme s’il avait oublié son prénom ; et cette pensée me rend triste. Alors, je vais sans doute te surprendre, mais je me pose la question de savoir si en fait ce n’est pas toi qui a raison.

    – Explique-moi, mon Alphonsine, car j’ai le sentiment qu’à l’heure qu’il est, mon esprit est complètement embrumé. Je me demande s’il n’est pas à prendre le jour pour la nuit.

    – Eh bien ! Mon ami, j’ai envie de te dire oui, dépêchons-nous de nous aimer. Quand tu le désireras, je veux bien essayer nos sabots. Je comprends que notre jeunesse est comme le printemps ; elle passe trop vite et comme lui, elle n’est qu’une saison.

    Amazone. Solitude

     

     


  • Commentaires

    1
    Samedi 1er Avril 2017 à 05:25

     Bonjour  René  ..
    OH ! Comme  elle est  bien  racontée ton  histoire  d'amour .
    Si  tous  les  amoureux  étaient  aussi  élégant  parleur que ce  bel  Augustin ,tout est dans  le  savoir dire  , dans  la  douceur . OH!  la , Il  y  aurait  10 fois  plus  d’échanges  de  sabots ( sourire ) .De nos  jours  je  trouve que  ça  passe un peu  trop  vite  a  l'histoire  sans  parole , c'est  peut-être  pour  ça  que  les  sabots  font  mal  très  vite  Oups !!!! mdr  ,  Ceci dit  les  news  dans  ton  pays  ne  sont  pas  très  rassurantes ..
     J’espère  que  dans  ta  région  c'est  calme  et  que  tout  va  bien  pour  toi  et ta  famille ..
     Déjà  Avril , je  ne  vois  pas  le  temps  passer  ..
       Je  pense  souvent  a  vous  et  vous  envoie  mon  amitié ..
    Bisous ..
    Nicole..

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