• Les injustices du ciel

    — Nous fustigeons souvent le mauvais état d’esprit des hommes ; mais nous ne pensons peut-être pas aux phénomènes qui les ont manipulés ainsi, transformant leur cœur, d’abord doux, aimant, et généreux, en un étranger, ressemblant maintenant à une pierre indifférente, érodée par les ans. Nous sommes toujours prêts à dénoncer les inégalités qui font se compartimenter notre société au lieu de l’unir définitivement. Mais au fond de nous, nous savons bien que la majorité de nos espérances ne sont que des mirages qui dansent devant nos yeux, des chimères qui attisent les sens de nos esprits malmenés.

    Sur notre Terre où la beauté est sans égale, rien ni personne ne peut prétendre que nous naissons égaux. L’élément faible n’a jamais engendré la force, et la puissance a toujours écrasé les chétifs. Le destin est inscrit dans les gènes de tout ce qui vit et nous désoler n’enrichit aucun des nombreux sujets peuplant notre monde. Il y a forcément un responsable à toutes nos mésaventures, me répondrez-vous. Alors que nous le cherchons en tous lieux, il suffit que nous levions la tête pour le découvrir. Il est là, se tenant immobile au-dessus de nous, se cachant parfois derrière une armée de nuages qui nous en défendent l’accès. En évoquant l’immensité des cieux, je ne puis m’empêcher de penser à ces temps lointains alors que mes pas m’avaient conduit en des lieux désolés certes, mais qui forcent néanmoins au respect et à l’admiration.

    Sous un zéphyr d’un bleu azur, nous pouvions demeurer des semaines sans voir la moindre caravane, comme si nous étions perdus en lieu inconnu, à deux pas du firmament et de la terre. Pour compagnon, nous avions le vent qui faisait chanter les dunes en jouant avec le sable dans d’interminables airs languissants. Je pensais alors non sans une certaine amertume que le créateur était souvent bien injuste de détourner son regard de ces pays où la terre se meurt en fixant désespérément le ciel. Celui-ci, parfois, offre son espace à de lourds nuages gonflés d’une pluie qui apporterait tant de bonheur, même s’il était éphémère. Oui, à dessein, je dis, momentané, car, juste après l’averse improbable, le désert explose soudain de mille couleurs. Le lieu que nous pensions qu’il était désolé, dans une jouissance extrême se pare de milliers de fleurs, qui nous apparaissent comme des sourires sur un visage d’homme malheureux. Oublié, pour un temps, la misère et les souffrances, l’indifférence et les tempêtes de sable. Le désert ressemble alors à la plus merveilleuse femme qui après avoir versé des larmes de bonheur, ouvre les yeux inondés de mille couleurs.  

    Cependant, durant des années, les nuages se pressent de survoler les zones désolées comme s’ils craignaient de s’y égarer, pour vider leurs réserves en d’autres lieux où déjà l’eau est trop abondante. Dans ces jours de tristesse, mes yeux ne pouvaient se détourner du spectacle offert par le vent s’acharnant sur le minéral. Il l’arrache, couche après couche, mettant à nu les restes d’une vie délaissée par le plus grand nombre. Après des jours de tempêtes, soudain, se dressent des rochers de toutes les formes, comme s’ils étaient les derniers représentants de civilisations disparues, surprises dans leur sommeil. Durant des millénaires, ils attendaient dans l’oubli, qu’une saison bienfaitrice se décide enfin à leur rendre la vie, ignorant que sous les effets du vent des sables, du soleil meurtrier et des nuits glaciales, leurs souffrances se réveilleraient.

    Mais ne rêvons pas ; la terre d’antan est devenue stérile et nul ne saurait la faire reverdir. En ce jour qui voit le ciel traîner son ventre alourdi de nuages gonflés d’humidité, je ne puis m’empêcher de prier pour qu’il laisse son chargement frôler ces statues de pierres figées, espérant que l’une d’elles déchire l’enveloppe fragile retenant le précieux liquide qui détient la vie. Hélas ! Dans un dernier effort, le souffle du firmament les pousse vers les pays riches de forêts, afin qu’ils se posent sur la cime des grands arbres. Pendant ce temps, les vents avec la complicité des rayons ardents poursuivent leur œuvre de destruction. Les crevasses ne cessent de s’élargir et de s’approfondir. Par endroits déjà on devine que la Terre n’a pu retenir plus longtemps son âme ; désespérée, on l’imagine errante dans le désert.

    Elle aurait tant aimé quelques gouttes, non pour la ranimer, mais pour adoucir ses derniers instants.

    Vous le voyez, dans la nature comme dans la société des hommes l’égalité est bien un vain mot.

    Nous ne sommes pas sans le savoir ; durant de longues années, des peuples connaîtront la famine, tandis que d’autres succomberont de l’abondance : alors que des pays se fossilisent et que d’autres n’en finissent plus de vomir jour après jour leur trop-plein de verdure, de couleurs, de parfums, ainsi que de luxuriance, sur des gens indifférents qui n’en demandent pas tant, et qui, chaque jour, oublient davantage les obligations qu’ils ont envers leur mère Nature.

     

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