• Les malles d'une vie

    Les malles d'une vie


    — Qu’elle était belle cette époque qui me permettait de remonter le temps chaque fin de semaine ! C’était presque devenu un rituel qui ne trompait personne tant chacun y prenait du plaisir faisant semblant d’ignorer ce que les aînés cherchaient à faire comprendre à mots couverts, par crainte de trop se découvrir.

    D’abord, il y avait la joie jamais dissimulée de la grand-mère quand elle accueillait les enfants et les petits enfants. Son visage s’éclairait de lueurs nouvelles, comme le ciel après la pluie qui n’a pas son pareil pour mettre en valeur les éléments un moment disparus sous l’averse. Le grand-père, lui, était plus discret et forçait le nouvel arrivant à déceler en lui les sentiments qui avaient depuis longtemps pris l’habitude de se réfugier au plus profond du personnage.

    Il était comme un volcan demeuré de longues années dans un calme absolu et qui en quelques instants devient un hymne à la colère dans laquelle se mêle le courroux, le feu d’artifice et même l’admiration, forçant le spectateur à l’émerveillement et au respect.

    En vérité, il était l’héritier de cette éducation lointaine, qui interdisait que l’on exprime, par quelques manières que ce soit, sa satisfaction ou son mécontentement. Après les retrouvailles, comme il en avait l’habitude, il dirait à son beau fils avec un regard particulier et complice qui ne trompait pas :

    — Mon cher, seriez-vous assez aimable d’aller à la remise ? Dans telle ou telle malle, vous trouverez ceci ou cela. Soyez gentil de me le ramener. Avait-il réellement besoin de l’objet en question alors que tant d’autres se trouvaient déjà à portée de main. Peu importe ; la question en forme de commandement était posée, il ne restait plus qu’à l’exécuter. Était-ce une charge pour le jeune homme, quelque chose d’ennuyeux ? Pensez donc ! En fait, le jeune se demandait même si ce n’était pas pour cette raison, qu’il venait tous les dimanches.

    Alors le cadet s’exécutait avec un plaisir qu’il n’osait extérioriser. En fait, si l’aîné ne lui avait rien demandé, c’est lui qui le lui aurait proposé. Ce n’était plus une habitude, mais un jeu et le gagnant était celui qui le premier avait posé la question. La fameuse remise était au fond du jardin et ressemblait à la caverne d’Ali-Baba, les voleurs en moins.

    Homme rigoureux et méthodique, le trésor de l’ancien était réparti en une multitude de cantines et de malles en osier d’une autre époque, dans lesquelles reposaient les trésors de toute une vie. Elles étaient presque la mémoire du vieil homme. À l’intérieur de chacune d’elle, tout était minutieusement répertorié et classé en fonction des années et des évènements.

    Si tôt le couvercle de la malle ouvert, le voyage commençait. Le jeune homme éprouvait le sentiment de parcourir les souvenirs de son beau père, en marchant dans ses pas qui, pensait-il, ne s’effaceraient jamais. Sous ses yeux, se révélaient des secrets jamais partagés ou révéler. Mais il n’y avait pas que la mémoire qui se laissait découvrir ; il y avait aussi de subtils parfums qui se dégageaient des objets parfaitement isolés dans des papiers jaunis ou des feuilles de journaux qui expliquaient au curieux qu’en un instant il avait reculé dans le temps de presque un siècle. 

    Pour le plaisir, il ouvrait plusieurs de ces précieuses malles qui avaient fait le tour de la terre, prenant ici et là des éclats de vie aux senteurs de bonheur, mais parfois aussi aux relents de souffrances. À sa façon, l’aîné avait traversé ce siècle à la manière qu’ont les héros de faire l’histoire que d’autres, un jour, écrivent en faisant parfois des erreurs, tant il est si difficile d’imaginer les sentiments quand ceux-ci refusent de paraître en plein jour ! Il ouvrait les malles l’une après l’autre à la recherche du temps passé. Ce siècle que l’homme avait traversé en étant à sa façon un héros.

    Délicatement, les objets passaient de la malle dans les mains avec pour chacun d’eux une attention particulière. Les ans n’avaient pas effacé les visages fixés sur des photos défraichies, développées par lui-même, laissant des aïeux étonnés de retrouver pour un instant la beauté de la clarté du jour. Le temps n’avait pas absorbé l’encre des manuscrits anciens rédigés sur une feuille de papier pelure avec une écriture calligraphiée forçant l’admiration du lecteur.

    Les fragrances d’une autre vie n’avaient pas été diluées non plus, se précipitant derrière les bouchons des flacons opaques, attendant qu’une main innocente les libère dans une atmosphère méconnue, mais certainement prête à être investie. L’espace ne saurait se passer de parfums qui rappellent à l’esprit vieillissant que sous toutes les latitudes il y fait bon à vivre.

    Afin de ne pas faire s’impatienter l’homme au grand cœur, le jeune homme remettait à leur place les objets avec d’infinies précautions et de profonds respects, afin de ne pas désorienter les souvenirs. Il rabaissait ensuite le couvercle de la malle, non sans un certain picotement du côté du cœur, car il avait à ce moment précis, la mauvaise impression de refermer une porte sur la vie. Il était persuadé que tous ces souvenirs ne demandaient qu’une chose : revivre les meilleurs moments de bonheur d’une époque qui s’estompait déjà dans l’esprit des plus jeunes.

     

     Amazone.Solitude


  • Commentaires

    1
    Mardi 24 Mai 2016 à 02:27

              Bonjour  René ..C'est  vrai  que  les  souvenirs  reviennent  en  pensant  aux  vieilles  malles  dans  le  grenier ..On  y  découvrait  des  trésors  qu'il  ne  fallait  surtout  pas  déranger  simplement  les  regarder ..Merci  René  pour  ce  petit  saut  en arrière ..
    Bonne  semaine  les  amis ..
      Sincère  amitié  des  US ..
    Nicole .. 

    2
    Mardi 24 Mai 2016 à 09:32

    Bonjour René, moi aussi je garde des objets et c'est avec un réel plaisir que j'évoque où je les ai acheté et avec qui.. Que de beaux souvenirs..

    Bonne journée, bons baisers

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