• Les retenues du coeur

    Les retenues du coeur — S’il y a des lieux pour lesquels je n’ai jamais eu de réelle attirance, ce sont les salles d’attente en tous genres, les quais et les aéroports. Dans ces derniers, le brouhaha est tel que l’on ne comprend qu’à moitié ce que l’on nous dit et encore moins les appels que diffusent les haut-parleurs, dans une indifférence générale. 

    En ces endroits qui ressemblent à des cours des miracles, on pourrait se croire au bord de l’océan aux heures de grandes marées, alors qu’il va et vient comme celui qui hésite quant à la direction qu’il doit choisir.

    La vie est ainsi dans les halls immenses des aéroports. Sans que l’on sache vraiment pourquoi, les gens déambulent dans un sens ; après un instant de réflexion, ils font demi-tour, et cela durant des heures, se tenant par le bras pour signifier que leur départ est une douleur qui sans doute s’installe dans le cœur et dont on ignore combien de temps elle nous fera souffrir. Comme toujours, les enfants, énervés par l’ambiance indéfinissable qui règne en ce lieu, courent en tous sens, indifférents aux appels des parents. Soudain, des personnes s’arrêtent. Elles s’agenouillent au-dessus des bagages, cherchent désespérément les clefs qui permettent de déverrouiller les valises, les trouvent enfin, et se rassurent qu’elles n’ont rien oublié.

    Les nerfs de certains individus sont à fleur de peau.

    D’autres s’impatientent dans la file qui conduit à l’enregistrement.

    Des couples s’enlacent ne prononçant aucun mot. Que dire de plus que l’autre ne sait déjà ? Du côté des arrivées, la foule grossit. L’avion est attendu d’un instant à l’autre et la fièvre s’empare de ceux qui vont accueillir quelqu’un.

    Ici et là, il n’est pas utile de tendre l’oreille pour en écouter quelques-uns se plaindre que ceux qu’ils sont venus attendre sortiront comme toujours, en dernier ! Certains arborent des affiches avec des noms de personnes qu’ils doivent accueillir, alors que les uns et les autres s’ignorent. Puis un inconnu se reconnaîtra et fera de grands gestes, comme pour compléter les informations de son identité. Accompagner les membres de la famille ou des amis, je sais que je vais détester les instants qui vont suivre mon arrivée au milieu de ce tumulte.

    Dans ces moments là, on aimerait tellement être seuls afin que la joie ait le temps de s’imprégner de chacun ou pour permettre à la tristesse de s’habituer à résider dans un cœur délaissé.

    Soudain, un grondement nous réveille. L’avion tant attendu ou détesté lorsqu’il emmène l’être aimé vient de se poser.

    Alors, avec une pointe de nostalgie, nous revivons le temps où nous pouvions monter sur la terrasse pour le voir atterrir en douceur ou au contraire, rouler en poussant de toute la force de ses réacteurs pour s’arracher de la piste et d’un coup d’aile, adresser un dernier au revoir ou un geste d’adieu à l’amoureux un moment délaissé. Comme beaucoup, j’ai apprécié cette époque qui me voyait venir accueillir les miens. Les portes de l’avion s’ouvraient, et j’essayais de deviner ma famille descendant le long escalier posé sur la carlingue.

    S’approchant de l’aérogare, soudain les gens se reconnaissaient et s’adressaient de grands signes. C’était merveilleux de les voir enfin passer la police des frontières. Les yeux qui s’étaient retrouvés ne se quittaient plus. Ils n’étaient plus qu’à quelque distance, mais nous ne pouvions toujours pas nous parler.

    C’est l’instant que choisit le cœur pour essayer de sortir de sa cage.

    Autour de moi, les gens s’interpellent et trépignent. J’aimerais ne pas être différent des autres, mais je n’ai jamais su extérioriser certains sentiments, comme ceux de la joie trop longtemps contenue.

    En mes pensées, c’est l’heure où le discours de bienvenue tourne en rond dans ma tête. Je suis comme un enfant qui lit et révise son texte pour ne pas en oublier un mot. Les paroles devraient bondir à l’instant où la porte de la douane s’ouvrira, pour aller à la rencontre de ceux dont les sourires précéderont les pas.

    C’est aussi le moment où la foule bruyante nous bouscule alors que nous aimerions encore une fois, être seuls pour accueillir ceux pour lesquels notre cœur en perd la mesure. Irons-nous jusqu’à maudire ces gens qui vont poser le regard sur nos êtres chers avant même que nous les apercevions, nous dérobant ainsi quelques instants d’un indescriptible bonheur ?

    Soudain, ils sont là ! Sans que l’on sache qui aura fait les premiers pas, les bras s’ouvrent pour se refermer sur un corps agité par les sanglots. Le discours si bien préparé s’est envolé, les paroles restent bloquées au fond de la gorge. À l’épouse, à qui étaient destinés tant de mots, on n’ose à peine lui confier qu’elle est plus belle que dans les rêves et on lui avoue comprendre maintenant les raisons du soleil, qui parfois fait sa mauvaise tête en restant caché, honteux et jaloux. À celle que l’on aime, on lui vole seulement des larmes de joie qui disent beaucoup plus que de simples mots. Aux enfants qui s’accrochent à elle, avant de leur adresser la parole, on estime les différences dues à leur croissance ; à peine avions-nous tourné la tête, que déjà, ils ont grands, quand ils ne sont pas véritablement transformés !

    C’est en ces moments des retrouvailles que l’on s’aperçoit que le temps entre nous s’empresse toujours de tisser une autre vie. Les larmes ont changé de camp. Les petites mains plus assurées ne cherchent plus la grande et les yeux prennent la mesure de la réalité. C’est l’instant où l’on comprend que lorsque d’un livre une page est perdue, on ne peut prétendre en inventer les mots sans risquer d’écrire une autre histoire.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010

    La photo de l’aéroport de Cayenne Rochambeau est de la CCI de la Guyane.

    Cliché pris par Georges Tuttle.

     

     

     

     


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