• Les secrets du jardin

    — Ne vous est-il jamais arrivé au cours de vos promenades de vous arrêter devant un jardin semblant abandonné, et où la végétation reprend sa place, avec autorité, sans se soucier des réflexions des passants ? Laissant notre regard explorer chaque recoin, nous ne serions pas étonnés d’y découvrir des souvenirs ; mais pas toujours ceux auxquels l’on pense. Ils sont de ceux qui déposent un goût amer dans les mémoires de ceux qui naissent au lendemain d’un grand malheur.

    Ne pouvant détacher mon regard de ce qui fut sans doute un lieu qui put être un petit paradis, j’accorde une totale liberté à mes pensées.

    Alors, n’y tenant plus, j’ai soudain l’envie de redonner vie à cet endroit qui avait certainement connu une très belle époque, à en juger par les vestiges qui demeure, même s’ils nous donnent le sentiment de souffrir pour nous faire croire qu’ils existent toujours. Ce n’est pas que je voulus que ce jour soit plus triste qu’un autre, mais en tous lieux je sais qu’il y eut des heures heureuses et qu’il est bon de temps en temps, de les faire revivre. La position des chaises nous laisse supposer que si l’amour n’est pas né en cet endroit, à tout le moins, il y grandit et dura probablement longtemps et même suffisamment pour imprégner l’environnement de douceur, puisque des fleurs sont là pour le prouver. J’ai envie de croire qu’il était une sorte de jardin secret d’un couple uni par un bonheur qu’aucun évènement n’avait terni et que les mots ne s’y échangeaient qu’à voix basse, pour ne pas troubler la douce quiétude des soirs d’été.

    Ce jardin était alors le refuge où ils laissaient vagabonder leurs pensées qui finissaient toujours par se rencontrer, car l’amour est fait de telle sorte qu’il ne supporte pas que les sentiments restent longtemps sans puiser de la force dans ceux du compagnon ou de la compagne. Ainsi, outre les mots, c’était aussi les sourires qui faisaient le tour de massifs entretenus, se posant sur les fleurs pour revenir enrichis de parfums enivrants. Instinctivement, la main de l’un cherchait celle de l’autre et sans qu’ils aient dit le moindre mot prouvant leur connivence, ils demeuraient de longs moments silencieux ; jusqu’à l’instant, où leurs regards complices obligeaient les lèvres à dessiner un cœur, tandis qu’une perle de diamant ourlait le rebord des paupières. C’était alors la parfaite communion des êtres et des choses, quand l’air lui-même n’amène que le souffle de l’amour qui nourrit le bonheur jusqu’à la rencontre du nirvana.

    Le jardin comprit dès l’aurore qui refusait presque de déposer la lumière sur le parc, qu’un évènement était survenu chez ce couple qui pourtant n’avait jamais connu la moindre séparation.

    Il était permis d’imaginer qu’ils n’étaient pas nés au hasard des jours, mais bien l’un pour l’autre, comme s’ils étaient venus en ce monde en se tenant déjà par la main. Aux secrets que le jardin détenait, s’ajouta celui qu’il redoutait depuis longtemps. Il le comprit quand il vit déambuler dans les allées, l’un des époux à la recherche de l’âme sœur perdue, une phrase interrompue, un sourire égaré ou un parfum envolé.

    Afin de tenir compagnie à celui qui posait sa main sur la chaise vide, le jardin se fit plus généreux en soulignant les massifs de couleurs plus éclatantes et les fragrances plus soutenues. La nature tout entière sembla être à la disposition du visiteur désemparé en essayant de restituer par les feuilles toutes grandes ouvertes, les mots d’alors, ceux qui avaient si bien su faire sourire et chanter l’existence au long des heures heureuses.

    Un jour, le chagrin l’ayant emporté, la seconde chaise resta à son tour inoccupée. Le lieu attendit bien quelque temps, mais il dut accepter l’évidence. Le deuxième personnage ne s’y rendrait plus.

    Il s’en était allé rejoindre son double dans un autre parc immense, ignoré des hommes, où les massifs riches en couleurs sont encore plus généreux, seulement fréquenté par les âmes qui attendent la venue de ceux qu’elles ont aimés. Sur terre, dans le jardin abandonné les plantes et les fleurs en ont profité pour occuper l’espace, car elles sont les symboles de la vie. Ce sont elles qui illuminent nos jours en leur donnant un sens et elles nous font comprendre que ce que nous recherchons indéfiniment, elles savent le réaliser inlassablement.

    Elles naissent et meurent aussi, mais sans cesse reviennent pour de leurs fragrances embaumer nos jardins, notre paradis et nos pensées. Elles seront d’autant plus belles qu’elles auront été nourries avec notre amour et nos sourires.

     

    Amazone. Solitude Copyright. N° 00048010


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