• LIBÉREZ-NOUS

    – Je tiens à vous rassurer, je n’ai pas échoué dans une geôle quelque part au bout du monde pour rébellion caractérisée, ou tout autre délit. Je venais juste m’asseoir un instant auprès de vous, car après cette trop longue interruption, j’éprouve le besoin de me confier. Attention ! Je n’évoque pas des échanges que certains ne peuvent faire que sous la surveillance de gardiens, et qui forcent le détenu à utiliser (et c’est un comble pour un prisonnier) des chemins de traverse quand il désire exprimer à ses visiteurs ce qu’il a sur la conscience. Je ne vous parle pas non plus de l’armoire à péchés que possède tout curé bien dans ses meubles. Alors, pourquoi autant de préambules, si je n’ai pas des choses exceptionnelles à communiquer, me direz-vous ?

    J’y viens, rassurez-vous. J’imagine que comme ce fut le cas pour moi, avant de vous lâcher la main quand le désir de partir du cocon familial vous prit, on s’empressa de vous dresser une liste de recommandations longue comme plusieurs jours se donnant la main, histoire d’allonger la semaine. Cela n’en finissait pas ! Du matin au soir, les avertissements pleuvaient à la manière de la mousson dans certaines régions, gonflant les ruisseaux de mon esprit, jusqu’à les faire déborder. Puis, venait alors le temps des ondées qui précèdent les orages. C’était celui des exhortations de toutes sortes. L’on me dépeignait la société des hommes comme si elle en était la dévoreuse de tout individu, et nous étions obligés de lui fournir ses plats préférés, comme les soldats représentaient la chair à canon tant décriée, mais jamais en manque de munitions.

    – Souviens-toi de ce que l’on t’a appris, même si parfois, nous avions le sentiment de parler à quelqu’un d’absent, tant tu nous paraissais être à mille lieues de nous, me disait-on à longueur de temps.

    – Cependant, telles des leçons sans cesse apprises et récitées, l’essentiel des conseils était bel et bien gravé en ma mémoire. Ainsi, j’avais bien compris que je devais respecter les gens, aller à leur rencontre, les aider quand ils étaient à la limite de la rupture de la société, laquelle les abandonnait après en avoir extrait le meilleur. Évidemment, je ne devais point faire le mal, et par conséquent, ne pas envier le bien des autres. Ce qui leur appartient ne doit jamais tomber dans ton escarcelle, à moins que l’on te l’offre en échange d’autres choses équivalentes t’appartenant, ou en remerciement d’un service rendu. À ce sujet, je compris très vite que j’avais plus besoin de leur amitié que des biens dont ils disposaient. J’étais (et je suis toujours) un homme de la campagne, et à ce titre, comme si cela était une part importante de mon héritage génétique, je respectais le jardin des personnes rencontrées, prenant soin de ne pas piétiner les platebandes des leurs. Heureusement, sans que l’on m’ait montré comment faire, j’ai découvert comment sourire, et en retour des miens, j’en reçus chaque jour davantage. 

    J’ai eu le privilège de marcher sur de longs chemins, traverser des régions plus grandes que mon pays, des mers calmes ou houleuses. J’ai eu chaud et aussi froid, l’un est l’autre à la limite du supportable.

    Alors, me demanderez-vous, quelle est la raison de ce billet, si, somme toute, tout se déroula comme prévu ? Je comprends que vous soyez déroutés. Oh ! Le problème n’en est pas vraiment un, bien sûr. Cependant, à toutes ces recommandations, et encore en ai-je oublié, ou volontairement passées sous silence, on avait omis de me parler de l’essentiel. Surprenant ? Non, pas vraiment, car de ces choses-là, on n’en parle jamais. Il nous arrive d’évoquer celles des autres, c’est beaucoup plus facile, et surtout, déculpabilisant. Délibérément, on m’a caché qu’en chaque individu, se cache souvent un autre personnage, auquel se joignent un ou plusieurs autres. La difficulté réside dans la volonté de les maintenir là où ils se trouvent, et de ne jamais céder à leurs exigences. S’ils te crient qu’ils souffrent, n’en crois rien. S’ils frappent à la porte de ton esprit dans l’espoir d’être libérés, ignore leurs appels. Ils ne désirent qu’une chose : te nuire en tout premier lieu, mais offenser également tous ceux que seras amené à fréquenter. Ils n’ont qu’un but : détruire.

    Alors, pourquoi ne m’a-t-on informé de cette réalité ? Par crainte de laisser découvrir ceux qu’ils nourrissaient ? Je n’ose pas croire que ce ne fût qu’à cause de la honte qu’ils auraient eu à évoquer ces faiblesses, qui pouvaient révéler des vices cachés, des tendances à peine avouables, ou que sais-je encore ? Cependant, si nous prenions la peine de dire toutes ces vérités quand nous sommes en âge de les comprendre, ne serait-ce pas le moyen d’empêcher à ces pseudos personnages de grandir en même temps que nous, et de les éliminer avant qu’ils trouvent le moyen de se libérer par leurs propres moyens ? Avant de nous apprendre à combattre les chimères ou les moulins à vent, enseignons à nos enfants que les batailles les plus valeureuses seront celles que gagnerons sur nous-mêmes !

    S’il vous arrive d’entendre vous supplier, « libérez-nous », de grâce, faites la sourde oreille. C’est le meilleur service qu’aucune autre personne ne vous rendra jamais. N’ouvrez jamais leur prison.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1


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