• Lune coupable, mais pas responsable

    Lune coupable, mais pas responsable

    — De tout temps, la lune fut l’objet de mille questions, et sans doute beaucoup plus encore. Au temps où les poètes et autres griots et troubadours avaient pignon sur rue, on pouvait croire qu’elle leur appartenait. Il n’y avait alors que ces charmeurs, pour nous expliquer qu’elle était la petite sœur de la terre, mais que, trop dissipée, celle-ci l’avait mise en pénitence dans un coin retiré de notre ciel.

    C’était sans compter sur les malices d’un vent qui voulut punir à jamais la mère indigne. Il souffla si fort, que la malheureuse petite fut bien vite esseulée dans un coin de l’espace. C’est depuis ce temps-là qu’elle ne retrouva jamais le chemin de la Terre. À sa manière, elle trouva le moyen de venir troubler le sommeil de ceux qui l’avaient repoussée, en venant une fois par mois mettre leur nuit au supplice. Durant cette période, les esprits sont agités, des âmes fuiront la luminosité alors que des nouveau-nés l’auront attendue pour honorer et saluer la vie qui s’offre à eux.

    Mais il y a aussi les nombreux démons qui attendent avec impatience que le monde soit endormi pour enfin vivre enfin leurs tourments.

    Les chiens s’assiéront autour de la Terre, le regard levé vers l’astre lunaire. Dans une même plainte, ils lui adresseront leurs invectives que d’aucuns prennent pour des prières particulières que l’on adresse aux esprits lors de réunions secrètes.

    Ce sont surtout des reproches, car il la pense responsable de la transformation qui s’opéra en eux quand ils devinrent l’ami de l’homme. Ils se livrèrent alors, faisant allégeance de soumission et de fidélité, et parfois aussi les transformant en animal servile. Les loups tiendront réunion dans les clairières, à l’aplomb de la lune bien ronde, comme s’ils étaient assis autour d’une table sur laquelle reposerait la plus précieuse des lampes magiques. La fixant, ils passeront la nuit à la remercier de les avoir tenus à l’écart des avances intéressées des hommes désireux de dominer les animaux.

    Dans la forêt, c’est l’incompréhension qui domine. Les animaux rentrés à leurs tanières sont décontenancés. Ils hésitent à écourter leur journée. Les autres, qui se servent de la nuit pour guetter leurs proies, restent tapis dans les rares zones obscures. Ils craignent que de chasseurs, ils ne soient transformés en victimes innocentes. Ils prieront le Dieu des fauves pour qu’il installe quelques nuages devant l’œil brillant de la nuit, pour permettre aux ventres affamés de trouver un peu de réconfort.

    La nature aussi est déstabilisée. Les fleurs qui s’étaient pressées de refermer calices et corolles entrouvrent les pétales pour voir ce qui se passe. Elles ne savent plus si elles doivent permettre aux parfums d’envahirent l’espace, ou si elles doivent le garder pour la journée prochaine. Certains arbres seront tellement tourmentés, qu’ils vrilleront leur tronc sous l’influence de la lune moqueuse. Les coqs n’en peuvent plus d’annoncer l’imminence du jour pour dans l’instant suivant démentir l’information.

    Mais il n’est pas que le milieu naturel qui connaît des perturbations.

    Dans celui des hommes, il en ira de même. Les plus fragiles ne trouveront pas le sommeil. Alors que la lune sera à son apogée, certains iront hurler en compagnie des loups-garous dont ils se disent les cousins. Des esprits tourmentés chavireront et déraisonneront, alors que d’autres trouveront le réconfort dans l’alcool ou d’autres substances qui les tiendront éloignés de la réalité.

    Chez d’autres encore ce sont les forces démoniaques qui les harcèleront investissant leurs corps et leurs esprits, jusqu’à les pousser à la faute, et plus grave encore, au crime ! Elles salueront leurs victoires en repartant, leurs méfaits accomplis, en poussant des cris horribles afin qu’on ne les oubliât pas.

    Pendant que se dérouleront des drames, dans les recoins sombres des maisons se tiendront apeurés les Jean de la Lune protégeant leurs amis, les pierrots. Ensemble, ils verseront des larmes en souvenir du bon vieux temps.

    Pour la énième fois, ils regretteront ces temps merveilleux où la lune était le refuge de leurs rêves et de leur imagination. Ce soir de pleine lune, ils décrieront les fantaisies des hommes qui ont envoyé des engins tourner autour de la planète mystérieuse avant de s’y poser. Ce fut le jour le plus triste que les poètes n’aient jamais connu, car ils venaient de piétiner les songes des anciens, dérangeant les esprits et brisant les liens qui les reliaient aux sages de la Terre. Depuis, ils se sont enfuis errant dans l’espace, à la recherche d’un autre astre accueillant et discret.

    Certains prétendent qu’il y aurait bien un moyen pour que cessent les souffrances dues aux lunaisons, mais pour l’instant il reste hors de portée, n’ayant trouvé aucun volontaire pour repeindre chaque mois, la face brillante de notre petite sœur.

     

     

    Amazone Solitude 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :