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Malchance fut ma compagne
— Je sais, cela peut prêter à sourire. Il n’est pas si fréquent de voir passer une pirogue dans une charrette. Généralement, sa place est posée délicatement sur l’onde où elle attend avec impatience d’emprunter son fil pour partir vers de nouvelles aventures. Alors, me demanderez-vous, que fait-elle juché au-dessus de la terre, traînant son espoir au long des pistes poussiéreuses ? Écoutons l’homme :
— Malgré les apparences, je vous assure que le rire ne vient pas ourler mes lèvres. Je suis même triste à en mourir. Je ne fus pas plus miséreux qu’un autre, au village nous avions la même part de souffrance. Depuis toujours, j’ai vécu dans l’incertitude, à tel point que jamais je ne me posais de questions inutiles.
Durant toute mon enfance, on me disait :
— Grandis et tu verras ! Je me suis tu, mais je n’ai rien vu, à part la misère qui accompagnait ma vie. Elle prit tant de place chez nous que je dus même faire une pièce de plus à ma case pour qu’elle s’y sente à l’aise. Toujours, on me disait : écoute ! Jour et nuit, j’ai écouté ; mais les bruits de la vie furent discrets à ce point qu’ils ne parvenaient plus jusqu’à nous.
La forêt semble ne plus vivre depuis que les épineux ont remplacé les grands et fiers arbres. Les oiseaux eux-mêmes ont fui cette désolation. Le gibier s’en est allé vers des contrées plus accueillantes. Depuis ce jour, nos bois ressemblent à un village où plus jamais un marché ne s’installe, comme pour faire comprendre aux habitants qu’il ne saurait y avoir de vie où les sourires ne s’affichent plus sur les visages.
Si tu veux manger, me répétait-on à longueur de temps, retourne ton champ et sème ton grain. J’ai labouré, en y mettant autant de peine que mon malheureux attelage. Mais la terre lassée d’être assassinée avait rendu l’âme et elle était devenue stérile. Je n’ai jamais récolté le moindre épi.
L’un des nôtres m’avait conseillé de ne pas rester seul. Si c’est le bonheur que tu cherches, me répétait-il, marie-toi. Je suis allé dans un village éloigné et j’ai pris une épouse. L’an n’avait pas tourné les talons quand, dans une aube incertaine, le destin s’est emparé de ma petite fleur ainsi que le fruit qu’elle nourrissait. Sois donc courageux, m’avait-on dit, je le fus donc. J’ai fait mieux qu’affronter, je me suis mesuré aux éléments, mais ils sont venus à bout de mes espérances.
Un jour, j’ai posé ma fierté à mes pieds et je suis allé consulter parmi les anciens, ceux qui pensaient encore détenir le savoir. Ils m’écoutèrent sans m’interrompre jusqu’au moment où l’un d’eux hocha la tête me faisant comprendre qu’il en avait suffisamment entendu.
— Il te reste encore deux bœufs, une charrette et ta pirogue, profite pour aller dans une région prospère. J’ai pris mon maigre bagage et je suis allé vers cette promesse de jours meilleurs. Longtemps, en compagnie de mes bœufs, nous avons marché, mais l’ailleurs promis semblait reculer au fur et à mesure que nous avancions. Je n’ai rien découvert d’autre que je ne sache déjà. Je me suis même joint à des gens, qui, eux aussi, partaient chercher quelque chose qu’on leur avait dit être plus loin, vers d’autres cieux, d’autres lieux où résident sans doute les rêves qui assaillent les esprits dès la nuit déposée sur la terre.
Comprenant que nul ne peut marcher indéfiniment à la recherche d’une chose qu’il ignore, je me fis violence et entamais un demi-tour vers mon village. Un doute m’assaillait depuis quelque temps. Et si ce que je cherchais se trouvait là où le ciel me vit naître ? Peut-être me suffisait-il d’être courageux pour apporter les changements espérés, regarder la nature autrement afin de mieux la comprendre et surtout ne jamais rien demander qui me serait indispensable.
Après tout, me suis-je convaincu, il est possible que la vie soit comme les jours qui se renouvellent chaque matin et que la prospérité renaisse avec les premiers rayons du soleil.
Ne suis-je parti que parce que quelqu’un m’avait conseillé ce qu’il avait deviné que je voulais entendre et pour aucune autre raison ? Après tout me dis-je en souriant, il est bien possible que les miracles n’existent pas seulement dans les contes et les livres anciens. Sans doute attendent-ils patiemment qu’une main innocente leur montre le chemin de la réalité pour qu’ils m’aident à faire pousser mon grain au pied des épineux que je voyais se dessiner sur l’horizon.
Le premier miracle que je découvris en arrivant chez moi, c’est que ma case m’attendait, personne ne se l’était appropriée. Sans doute savaient-ils que je reviendrais, car pour être fort dans sa vie, l’homme a besoin des autres. Seul, il est fragile et le bout du chemin sur lequel il s’aventure ne se montre jamais. Il prend plaisir à conduire l’imprudent à la dérive, jusqu’aux portes de la déraison.
Amazone. Solitude
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Commentaires
Bonjour René . Pauvre homme Partir pour être plus heureux ailleurs , alors qu'il suffit simplement d'ouvrir la porte pour laisser passer le soleil ..Merci René pour ce joli texte .
Qu'est-ce exactement que le bonheur ? une pensée , une émotion , une illusion ?.
Pourquoi cherche -t-on a être encore plus heureux ? Le bonheur peut-il aider a mieux faire face au malheur ? a lui survivre ? Beaucoup se posent ces questions , c'est pourtant plus simple ..
Bonne fin de semaine mes amis lointains et bon Week-end ..
Sincère amatie de chez nous ..Gros bisous ..
Nicole ..
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Beaucoup de sagesse dans votre écrit Joreg... Nous cherchons parfois ce que nous avons sous nos yeux, encore faut-il le voir.... Oui nous avons besoin des autres afin de vivre mieux, en partageant... Je me demande si en revenant vers ma région natale, je n'ai pas voulu inconsciemment faire comme "l'homme"
Quant à la Nature, il nous faudrait faire preuve d'humilité à son endroit! Elle sera toujours le plus forte et moi cela me rend heureuse!
Amitié. Anne.