• Merci la vie

     

    — Je remercie la vie d’avoir déposé à mes pieds à chacune des aurores un jour nouveau. Je les ai reçus avec les mêmes émotions que ressentent les enfants, découvrant au pied du sapin le matin de Noël, de nouveaux cadeaux, sous l’œil clignotant des guirlandes multicolores.

    Oui, c’est bien ainsi que dans la discrétion d’un matin brumeux je découvris tenant la main de la vie une seconde petite chose timide, mais ô combien merveilleuse.

    C’était le bonheur, frêle et craintif. Il paraissait insignifiant, dans l’ombre de sa grande sœur, mais il ne me fallut pas longtemps pour que je comprenne qu’avec le temps il deviendrait mon meilleur allié. Le temps, toujours lui, comprenant que le jeune bonheur était frileux, le revêtit du plus bel habit qu’aucun autre ne portât avant lui. On eut dit un habit de lumière tant il lui donna des couleurs.

    Bonheur ! Le mot était lâché, avec un accent abrupt, presque à regret, comme si je ne le méritais pas. Alors, je me suis appliqué afin qu’il n’ait jamais à me reprocher de l’avoir délaissé, oublié par les sentiers qui font sans jamais s’essouffler, le tour de la Terre.

    Je le veillais comme s’il avait été l’un des miens dont je devinais qu’il me serait interdit de le renier, même si malencontreusement il venait à fauter.

    Cette petite chose ne fit pas que grandir dans le creux de ma main. Il se réfugia au fond de mon cœur, à la manière qu’a le bon grain de choisir le fond du sillon pour y germer dans la quiétude de l’humus.  

    Je me doutais que la vie était une autre de ces éphémères et que je ne devais pas attendre pour l’accueillir à la manière que l’on fait des héros. Oui, bien comme un héros, car derrière eux, ils laissent toujours une trace qu’aucun souvenir ne parvient à effacer.

    Le grain semé devenu épis, abandonne à la terre qui l’a nourri, sa paille devenue mémoire. J’eus besoin de temps pour comprendre que je devais faire de même.

    Alors, le bonheur bien au chaud dans mon cœur, l’espérance portée à bout de bras et la volonté enfouie dans mes souliers, je suis parti. Non pas à la conquête, mais à la découverte du monde qui me tendait ses chemins, comme les amis vous ouvrent leurs bras. Il n’était pas de jour où je ne remerciais pas la vie de m’avoir offert ses présents. Ce jour où je l’étreignis, je ne pris même pas le temps de lire le mode d’emploi qui l’accompagnait. Ce fut à la halte d’un soir, sur un piton rocheux dominant une profonde vallée que je pris conscience que la vie tendait devant mes yeux larmoyants, son livre contenant ses secrets et ses recommandations. Distraitement, je le parcourus, quand soudain mon attention fut attirée par des mots qui m’attiraient sur le rebord de la vie. Je m’imprégnais de cette lecture devenue presque divine à cet instant.  

    - Qu’importe le chemin parcouru ainsi que les gens rencontrés, et la peine que les uns et les autres ont pu te faire ; intentionnellement ou non. Pardonne également aux sentiers qui oublièrent de retirer les pierres de dessous ton pas. Pardonne aussi aux buissons qui laissèrent pendre leurs rameaux épineux afin d’éprouver ta résistance. Il fut des gens qui t’ont méprisé ; pardonne-leur. Un jour, l’un de ceux-ci te tendra la main que tu ne pourras pas refuser. N’en veut pas à ceux qui tournèrent la tête à ton approche, feignant de découvrir que dans le pré voisin les fleurs y étaient plus belles et parfumées que de ce côté de la route. Un jour, l’un de ces personnages t’offrira de ses plus belles graines récoltées en son jardin. Pardonne au ciel lorsqu’il envoie la foudre. Il n’a pas l’intention de t’effrayer. C’est seulement qu’il t’indique qu’il est prudent de rester dans la réalité. Pardonne à celui qui jette l’opprobre sur toi. S’il agit ainsi, c’est que sa propre peur l’effraie.

    - Je venais de découvrir que si j’avais mis si longtemps à découvrir ce livre merveilleux, c’est qu’à la grande horloge du temps, l’heure du grand déballage avait sonné.

    Avais-je été digne du bonheur que l’on m’avait confié ?

    La vie était-elle satisfaite de m’avoir choisi afin que je la colporte de cœur en cœur, de village en village ? L’aurais-je suffisamment remerciée d’avoir mis au-dessus de moi un ciel plus souvent bleu que nuageux et tourmenté ?  

    C’est alors qu’il me revint des bribes de ma propre existence. Ne me suis-je pas montré injuste en pointant mon doigt vers des cieux que je maudissais après qu’ils eurent cueilli en mon jardin des fleurs à peine écloses ? N’ai-je pas été trop sévère dans mes jugements lorsque je la trouvais insipide et sans enthousiasme à mon égard ? Je sais, tout cela n’était que des pensées dont se nourrissait la lassitude et je restais persuadé qu’elles ne pouvaient alors que rester suspendues à mes lèvres, ignorant le chemin de mes pensées.

    Les routes que j’ai empruntées pour y conduire la vie, parfois se sont croisées, mais jamais chevauchées. Certaines ont disparu dans les broussailles et d’autres se sont égarées dans les sables. L’une de ses sentes courait vers la forêt. C’est elle que je choisis, devinant que le petit bonheur que j’avais parfois malmené avait besoin d’un lieu tranquille pour finir de grandir. 

    À sa manière, la vie me fit comprendre que j’avais fait le bon choix et elle me le prouva en me montrant, qu’au début de l’histoire de la Terre, il en fut ainsi, qu’elle connut elle aussi l’incertitude et même l’inquiétude.

    On n’eut pas besoin de me le commander pour que j’empoigne les mancherons de la charrue. J’ouvris mon premier sillon. La terre éventrée ne gémit point. Je semais sans tarder les graines récoltées autour du monde et bien vite nourrir mon bonheur des meilleures récoltes.

    Merci la vie ! Merci de m’avoir fait distinguer le bien du mal, les bons jours des mauvais et de toujours m’avoir guidé vers les sourires. Certes, je connus aussi des larmes, mais bien vite je compris qu’elles étaient indispensables à la terre, car elle seule possède les secrets pour les transformer en magnifiques fleurs délicates et odorantes auxquelles le bonheur et l’amour s’abreuvent sans modération.

     

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