• Mon double Imparfait

     

    Mon double Imparfait— Il y a des signes qui jamais ne nous trompent. À peu de choses près, nous avons commencé bien tristement notre vie. Il s’en fallut de peu que je reste dans une forêt ; lui, à peine arrivé parmi les hommes, c’est l’hôpital et son monde feutré, qui l’accueillit les premiers mois de son existence. Puis, le temps passa et c’est en l’observant que je compris que bien de la même famille, nous n’en étions pas moins différents. Mieux, jugez plutôt :

    Je n’ai pas eu à faire de gros efforts pour comprendre qu’il était tout ce que j’ai toujours refusé d’être, ce dont je ne voulus pas que l’on me fît, ce que depuis toujours j’ai combattu, et parfois même redouté. Pour moi, la vie ne fut pas toujours un long fleuve tranquille, musardant dans les campagnes, s’attardant aux abords des villages pour écouter les confidences des hommes paressant sur les berges et prenant mon mal en patience lorsqu’un barrage barrait le cours de mes rêves.

    Lui fut tout à la fois ; le fleuve Jaune pendant la mousson, l’Amazone abordant l’océan avec violence, comme pour le repousser et le Zambèze se laissant tomber dans des chutes interminables, comme s’il cherchait à retrouver le plaisir de la goutte d’eau quittant le ciel pour rejoindre la Terre. De tout temps, je préférais la lumière du jour pour son éclat et ses arômes, ses couleurs si nombreuses que jamais nous ne pouvons les quantifier, car changeantes au fil des heures, et les mille fragrances voletant dans les airs pour séduire les demoiselles.

    Lui, si la nuit n’avait pas existé, il est probable qu’il l’aurait inventé. On croirait qu’elle l’a investi depuis toujours avec son caractère obscur, son regard inaccessible et la profondeur de son âme.

    J’aime vivre chaque instant que la vie met à notre disposition, car ils sont tous différents et laissent à notre imagination le soin de faire qu’ils soient plus beaux, si tel est notre désir. J’ai essayé de me dompter pour économiser le temps qui m’est accordé afin qu’il me conduise le plus loin possible sur le chemin qu’il me donna, comme pour me signifier que je devais en découvrir chaque détour.

    Pour mon double, les jours ne sont rien d’autre qu’une grande et belle fête, dont il pense qu’il lui faut se presser de la vivre le sourire aux lèvres, l’étreignant le plus fort possible afin qu’en lui elle finisse par imprimer ses marques.

    Les saveurs je voulais les remiser en lieu sûr pour les remettre au jour quand dans mon cœur la tristesse s’installerait ; lui, il cherchait à toutes les goûter.

    Les parfums transportés par les vents, il prétendait que la nature nous les envoie pour que nous nous enivrions et de la musique il en fit presque une religion, toutes les musiques.

    Pour moi, la musique ne pouvait être qu’une douceur pareille aux éclats de rire de la vie, des poussières de bonheur apportées par la brise légère s’amusant à les déposer sur les branches et dans les nids afin que les oiseaux s’en nourrissent et nous l’offre aux belles heures des jours.

    En lui le sang bouillonne, en moi il prend son temps pour accomplir ses tâches. Comme une affreuse maladie, j’ai toujours eu besoin de chercher à comprendre le pourquoi de toutes choses, alors que lui prend sans jamais songer à remettre les choses qui manqueront aux autres. Il utilise tout et oublie jusqu’à la prochaine découverte, persuadé qu’il est que de toute façon, plus rien ne peut arrêter la planète de tourner, et que chaque jour elle invente quelque chose de nouveau.

    Mes pensées ne sont heureuses que lorsqu’elles prennent le temps de se poser un instant pour analyser le passé, songer à l’avenir en préparant les pas qui partiront à sa rencontre.

    Les siennes vagabondent, sautant de branche en branche ne cherchant pas si elles sont celles d’un chêne ou d’un pois sucré. En fait, il a sauté dans l’autobus en décidant de faire confiance au chauffeur, malgré quelques frayeurs de temps à autre, qu’il juge comme étant autant de piment qui relève la fricassée de viande des bois.

    J’ai aimé parcourir le monde pour y découvrir les richesses humaines. Lui depuis toujours a décidé qu’il était citoyen du monde, enfant de la planète se jouant des frontières. Je n’aurai su vivre sans aimer, lui ne trouva l’amour que sur le tard, et encore, est-ce l’amour qui lui tomba dessus au détour d’un layon ! Le travail fut mon credo ; il ne fait que ce qui lui plait. En mon esprit, le rêve et la réalité avaient des voies distinctes ; chez lui, elles sont étroitement liées.

    De tout temps, on nous dit que nous pourrions être jumeaux tant le physique de l’un est proche de celui de l’autre ; mais là s’arrête la comparaison. Sans doute est-ce normal qu’il ait fait siens mes doutes et mes dénis, qu’il se soit approprié mes désirs et qu’il ait passé son temps à enjamber les obstacles plutôt que de les contourner.

    Il est ainsi et je l’aime comme il est, faisant mentir le vieil adage qui dit que le fils doit être le pendant du père. Le mien n’est pas que mon fils. Il est mon double imparfait en quelque sorte. Il fuit ce que j’aime, fait l’inverse de mes gestes, à moins qu’en réalité il ne soit rien d’autre que mon autre moi ; celui qui se tient caché au tréfonds de mon être et qui un beau matin décida que son habit était devenu trop petit et que le temps était venu pour lui d’aller voir dehors ce qui se passait. Mais depuis longtemps, j’ai appris que c’était nos différences qui nous enrichissaient et qui rendaient le monde moins triste.

    Allez mon fils, va ! Le monde a aussi besoin de gens comme toi, telles des abeilles qui vont de cœur en cœur. Mais prends soin, de la ruche, d’en rapporter le miel le plus doux, celui qui adoucit la vie.

     

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


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