• Mon village paisible

    — Voilà quelque temps que nous échangeons des pensées et celui que je vous parle de mon village est arrivé. Comme presque tous ceux de notre pays, il s’adosse à la forêt tandis que son clocher se mire dans les eaux du fleuve. Mais s’il est celui de notre commune, ne pensez pas qu’il est pour autant notre lieu de résidence.

    L’amour de la solitude nous a conduits directement au plus près du cœur de la nature, en cet endroit privilégié où ses battements scandent, inlassablement sans jamais faiblir, chaque instant du jour et de la nuit. De chez nous, indifféremment on peut accéder au bourg par la route, après un long détour d’une trentaine de kilomètres ou en pirogue si vous n’êtes pas attendu.

    Le chemin par les criques et rivières est une expédition dont l’esprit ressort rarement indemne d’émotions. Il signifie que le temps ne compte plus, que les éléments sont à votre service et que pour rien au monde il ne faut manquer le spectacle des berges, depuis lesquelles les végétaux en toute simplicité vous offrent leurs joyaux.

    Le voyageur occasionnel ne verra pas grand-chose, ne sachant où poser son regard, tant son désir de découvrir est grand. Il devra écouter le guide qui, à voix basse, joignant le geste discret à la parole, montrera les singes se faufilant dans les houppiers, le tapir venu s’abreuver à un dégrade occasionnel, les cochons-bois s’enfuyant à l’approche de l’embarcation et l’anaconda se laissant glisser dans les eaux sombres.

    Mais puisque nous allons au village, nous n’aurons pas le temps d’observer le jaguar à l’affût, le puma se lançant à la poursuite du daim de Virginie, ni même l’ocelot rapportant l’agouti afin de le partager avec ses petits. Dans la canopée, les perroquets bruyants discutent cueillette tandis que le discours des toucans est incompréhensible tant ils semblent toujours se plaindre.

    Avec tous ses détours, je ne vous ai pas encore parlé du village. Mais avouez que par un si beau chemin il eut été dommage de ne pas admirer le paysage. Abandonnant les sous-bois, les cours de nos criques confient leur destin au grand frère, le fleuve. À l’instant où la pirogue se lancera dans ses eaux, nous découvrirons une carte postale magnifique. Il est large, fougueux quand l’orage gronde en amont et dangereux en toutes saisons, car il transporte troncs et autres bois volés à la forêt. Le ciel ne manque jamais de joindre ses nuages à son flux afin qu’ils s’enfuient encore plus vite.

    Non sans risque, il nous faudra traverser ce ruban capricieux pour remonter le courant, frôlant la mangrove qui ourle la berge et dans laquelle les ibis ont établi leur pouponnière. Nous n’économiserons pas les coups de pagaie pour lutter contre le flux. Après bien des efforts, nous apercevrons en sortant d’une ultime courbe le débarcadère où nous laisserons notre pirogue.

    Avant d’entamer la montée vers le village, nous regarderons une dernière fois le ruban majestueux. Il est vrai qu’il en aura coûté de la fatigue pour arriver jusque-là, mais, quel bonheur offert, sans contre partie ! Quel plaisir de voyager sous le couvert de la forêt où derrière chaque tronc s’élançant vers le ciel, une histoire se cache ou une autre y naît en même temps qu’une fleur ! On comprend alors pourquoi, dans les temps anciens, les hommes n’étaient pas pressés de construire des routes. Il est vrai aussi qu’ils ne se rendaient pas souvent dans le bourg, sauf pour aller voter ou inscrire le dernier né à la mairie qui, en ce temps, ressemblait bien à la maison du peuple. La secrétaire était certainement une cousine et le premier magistrat n’était autre qu’un enfant de la commune. Le séjour au village pouvait commencer, on ne savait pas alors quand il se terminerait.

    Si nous étions venus par la route, nous aurions enjambé le fleuve en empruntant le tout nouveau pont. Il nous fait gagner un temps précieux, même si voilà encore quelques années il nous fallait attendre le bon vouloir d’un bac pour rejoindre l’autre rive.

    Un jour peut-être vous raconterai-je des histoires merveilleuses où celui-ci s’illustrait à chaque chapitre de la narration. La traversée du fleuve effectuée, nous débarquions sur une piste de terre rouge. Elle était rectiligne, nous invitant à ne pas musarder en chemin. Un kilomètre plus tard, le village s’offrait à vous.

    Oh ! Il était discret avec ses maisons créoles d’un autre temps, chacune entourée d’un jardin où rivalisaient les hibiscus et mille roses de porcelaine. Près de l’église qui surveillait le fleuve depuis son promontoire, l’épicerie attendait le chaland qui lui apporterait les nouvelles des placers et des abatis. Dans cet établissement, on trouvait l’essentiel, car à ce moment-là, c’était ce que la vie exigeait. Un côté était réservé aux boissons. Des chaises et des tables bancales prêtaient leur bois poli par d’interminables parties de dominos et dans ce coin voisin du comptoir qui aurait pu nous raconter l’histoire des esclaves marron, il se dégageait une odeur forte de citron vert et de rhum. C’est qu’il ne peut survivre un conte ou une légende sans un ti-punch savamment dosé.

    Le village s’enorgueillissait d’avoir accueilli en d’autres temps un marquis et non des moindres. Monsieur de La Fayette. En effet, le Roi d’alors lui avait donné en remerciement de ces nombreux faits de guerre une immense plantation. Mais ces messieurs comprenaient mieux les choses des batailles que celles de la terre. Il confia donc le domaine à un régisseur.

    Il est vrai que ce dernier le fit prospérer et les environs ne tardèrent pas à embaumer le girofle, le poivre, la cannelle et bien d’autres épices. Café et cacao se partageaient de grands espaces et la commune était devenue le grenier de la région.

    Puis les temps changèrent. L’esclavage Dieu merci, fut aboli, et les travailleurs s’enfuirent presque tous à la recherche de la fortune. Il se murmurait alors que l’or abondait en tous lieux. Je vous rassure, ce ne sont pas ceux qui cherchaient, qui se sont enrichis, mais ceux à qui ils le vendaient en échange de fournitures diverses, indispensables à leur existence de labeurs. Oui, je vous entends et j’imagine vos sourires malgré les distances : rien n’a vraiment changé.

    Les ans passèrent et mon village continuait de vivre replié sur lui-même. Oh ! Il n’en était pas malheureux pour autant, pensez donc, quelques foyers se partageaient l’espace que coupaient à angle droit quatre ou cinq rues, qu’ombrageaient des manguiers et des fromagers.

    Les arbres étaient si importants, qu’ils semblaient protéger les bâtisses comme une mère poule le fait pour ses poussins. Sous l’abri du couvert végétal, aux heures chaudes de la journée, alors que les habitants avaient tiré les volets à la recherche d’un peu de fraîcheur, c’était le calme absolu.

    On aurait cru que tous les éléments avaient conclu un pacte pour faire une pose. C’était le moment où, tendant l’oreille, on pouvait écouter respirer la nature. Dans les ramures, l’alizé s’amusait avec les feuilles à la manière d’un jeune amoureux timide passant la main dans les cheveux de sa promise.

    Aux alentours, les arbres de la forêt se murmuraient des histoires des temps anciens, alors que les cabosses de cacao pendaient comme autant de fruits dorés. Dans chaque jardin, l’hibiscus s’offrait au colibri qui disait à l’un ce que l’autre lui avait confié. Ainsi, durant quelques heures pouvait-on imaginer que les villageois permettaient à la nature de reprendre le cours de ses rêves d’antan, ce temps exceptionnel où dans chaque case un enfant riait. Quand le soir fermait les volets du jour, il se fredonnait quelques berceuses sur les phrases desquelles l’Afrique n’était jamais loin, alors que quelque part, sous les grands arbres, roulaient les tambours qui faisaient se déhancher les femmes dans des rythmes endiablés. Heureux de la fraîcheur retrouvée envahissant l’espace, sous les galeries montaient les rires des hommes qui se réunissaient. Bruyamment, ils enchaînaient les parties en frappant violemment le domino sur les tables qui de guerre lasse, ne comptaient plus les heures, mais les points qui s’accumulaient ou se succédaient. Les gosiers s’enflammaient d’un rhum qu’un sirop de canne caressait.

    La nuit pouvait tomber, les contes et légendes seraient évoqués à nouveau. Ainsi vivait mon village au bord de l’eau, qu’une pirogue fendait de temps à autre, et de laquelle s’envolaient les battements des cœurs heureux que le fleuve colportait de lieu en lieu, jusqu’à la lointaine capitale. 

                        

    P.S. Mes Amis, ne nous cherchez pas au village. Nous résidons à l’endroit indiqué d’une épingle jaune, à gauche sur les photos vues du ciel, de l’autre côté du fleuve. Si vous passez par là, merci de nous rendre visite, vous serez les bienvenus. (À vol d’oiseaux, nous sommes à 7 km du village, mais par la route, elle nous promène durant 30 km). Au fond du terrain se trouve une crique qui conduisait à une rivière plus grande, puis dans une autre, avant de retrouver le fleuve. D’où la raison des lignes précédentes qui nous permirent de voyager sous le couvert de la haute sylve.



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