• NOS MERVEILLEUX AMIS

    – Il nous plut de nommer celui-ci Dick, car cette appellation était simple et qu’elle résonnait presque comme un ordre. Un mot, un seul, pour qu’entre lui et nous le courant passe rapidement. N’en avait-il pas un, que nous lui avons attribué celui-ci, me demanderez-vous ? Certainement en portait-il un, que nous ignorions ? Figurez-vous que dès les premiers instants, ce fut un véritable coup de foudre. Oui, il n’y a pas qu’entre les humains que soudain nous allons plus vers les uns que les autres. Chez les animaux, il en est de même, à ce point que nous sommes surpris lorsqu’un d’eux vous choisit, et s’attache si sincèrement à vous qu’il est prêt à courir tous les risques pour vous défendre. Vous aimeriez, j’imagine, connaître les circonstances qui ont contribué à notre rencontre.

    Comme souvent quand il s’agit de choses extraordinaires, il nous faut toujours remonter dans le temps. Ce jour qui nous présenta l’un à l’autre me trouva sur un chantier d’espaces verts. C’était l’heure sacrée de mon repas et je sacrifiais à ce doux moment, lorsque, venu de nulle part, ce chien se précipita vers moi. Comme toujours en pareils instants, je ne m’affole pas et fixe l’animal dans les yeux. Nos regards se rencontrèrent sans se heurter. Après une courte analyse, il jugea sans doute que je ne le mordrai pas. Je lui offris un sourire, comprenant qu’ils sont sensibles aux expressions de ceux qui les dévisagent. Il me répondit par un aboiement autoritaire, mais n’affichant pas la méchanceté. Sans le quitter des yeux, je lui demandais s’il désirait un peu de mon repas ; il ne le refusa pas et se fit même très humble lorsque je le lui présentais, en insistant pour qu’il y mette un peu de délicatesse. Il le prit du bout des babines, et, si tôt avalé, il sauta dans mon camion et s’installa à la place du passager. Je refermais la porte avec quelque précaution, mais rien ne se produisit. IL était assis se tenant droit, et par la fenêtre, je lui flattai la tête. Je compris qu’il m’avait adopté lorsqu’il aboyait sur des personnes approchant de son bien, puisque sans façon, dans l’instant il s’identifiait à lui.

    Le soir, de retour à la maison, je n’eus pas à lui montrer le chemin. Il le trouva avec une vitesse qui me laissa pantois. J’ouvris la porte devant laquelle il était assis, entra, et fit le tour de sa nouvelle propriété. Il renifla tous les membres de la famille, et naturellement, vint se coucher à la place que j’occupais à la table. À cet instant, je compris qu’entre lui et nous, c’était à la vie à la mort. Cependant, je dus le maintenir en laisse, car son caractère était des plus belliqueux. Dans son esprit, tous ceux qui s’approchaient de nous étaient des individus douteux et il les immobilisait sans que je lui en donne l’ordre.

    Une quinzaine se passa, lorsque sur mon chantier, je reçus la visite d’une dame qui se prétendit être son ancienne maîtresse. Je dus le retenir, car à l’évidence, il devait y avoir entre eux des différends jamais réglés. Cependant, elle réussit à reprendre son chien. Quelques jours plus tard, elle me le rapporta en me demandant si je tenais à le garder ; chez eux, me dit-elle, il leur menait une vie impossible. Il mordait tout le monde, ne pouvant plus recevoir, par crainte que les invités ne se fassent dévorer. Elle m’expliqua qu’il avait été dressé à l’attaque, et qu’ils le regrettaient, puisqu’ils n’ont jamais pu le dominer. Sans rien demander, il gagna sa place dans le camion sous les yeux ébahis de son ancienne maîtresse. À compter de ce jour, entre lui et nous, ce fut une grande et belle histoire d’amour. Quelque temps plus tard, on nous donna une Malinoise, dont les gens n’avaient pas mesuré les inconvénients d’avoir un tel chien dans un appartement. Chez nous, il ne fut jamais question de faire dresser nos animaux. Nous nous regardions et nous comprenions nos désirs. L’éducation de sa camarade fut sa principale occupation. Il lui apprit tout ce qu’il savait et il rajouta même des épisodes de son imagination, puisque souvent, la nuit, il découpait le grillage, pourtant un triple mailles, afin de courir vers une nouvelle aventure. Nous ignorions ce qu’ils faisaient dans la campagne, mais nous ne reçûmes aucune plainte. Au matin, nous les trouvions à leur place, douillettement installés sous le hangar, le museau tourné vers le poulailler où il me plut de croire qu’ils ne faisaient que compter les volailles. Certes, il y eut quelques incidents, car dévorer un volatile ou un canard, je n’ai pu le leur empêcher.

    Cela dit, j’ai retracé brièvement ce moment de vie commune afin de ne pas vous importuner plus que la raison l’impose. Cependant, nous gardons en mémoire des épisodes croustillants concernant nos amis à quatre pattes, quels qu’ils fussent, car chez nous, comme si c’était une règle, on nous priait d’accueillir ceux dont on cherchait à se débarrasser, pour incompatibilité d’humeur, je suppose. Notre histoire est courte, mais elle a l’avantage de nous faire comprendre que contrairement à ce que l’on imagine, ce sont bien les animaux qui nous choisissent et non l’inverse. Alors, respectons-les, puisqu’ils nous donnent leur belle amitié, sans pour cela attendre quelque chose en retour. Toutefois, si votre main trouve leur tête, ils ne la refuseront pas ; ils se nourrissent autant de tendresse que de croquettes ou d’autres aliments.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     


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