• PAR LA FENÊTRE… LES VOYAGES

    – Le jour s’était levé d’une humeur exécrable, ou plus sûrement du mauvais côté du ciel. Il ne m’encourageait pas à me projeter hors du lit rapidement, et j’imaginais qu’il devait bien avoir quelques couleurs de rechanges pour illustrer et habiller ce firmament monotone. Je me disais que rien n’est plus déprimant que de rentrer dans une matinée qui semble venir à reculons. Je quémandais, sans espoir d’avoir été entendu par le responsable, un rayon de soleil, pour laisser croire à mes vieux os, que l’on avait du respect pour eux.

    L’an ne cachait plus que lui aussi avait pris de l’âge, et il regardait non sans une certaine hantise se profiler les mois annonçant son déclin. Me tirant de mes pensées vagabondes, la cafetière me rappela à l’ordre. Je m’étais promis de terminer le roman dont les pages s’impatientaient de la venue de la plume. Elles aimaient la sentir gratter sur les lignes et se plaisaient à imaginer ce que ressentait l’auteur, lorsque son âme sœur passait sa main sur sa peau. Le breuvage matinal, censé me donner l’élan nécessaire pour affronter la journée, emplissait l’espace de son parfum, dans lequel il était facile de reconnaître l’un de ces pays du sud, qui lui, n’a pas à se soucier des rigueurs hivernales. Je posais la tasse près de mon écritoire, comme si je cherchais à imprégner les feuilles qui me tendaient leurs traits, des fragrances dont mon esprit s’était déjà enivré. C’est alors que mon regard se porta vers la fenêtre. Pour moi, qui faisais le plus souvent de merveilleux voyages immobiles, elle en était l’ouverture sur le monde, une sorte de permis de flâner. À travers les vitres parfois embuées, mes pensées s’évadaient, tandis que, quand il était d’humeur joyeuse, le soleil illuminait les mots qui en profitaient pour courir sur les lignes. Après un dernier regard vers l’extérieur, je pris place sur la chaise sans âge. Je l’ai toujours connu à cet endroit, à croire que mon père avant moi et le sien avant lui l’avait fixée une fois pour toutes à cet emplacement. C’est alors qu’avec un certain plaisir, je les découvris, tour à tour, assis à cette même place, l’esprit perdu vers la campagne, à musarder derrière quelques idées s’enfuyant parmi les fleurs de la prairie.

    Décidément, dis-je à haute voix, comme si j’attendais une réponse, il n’y a pas que dans la maison, où rien n’avait changé. Dehors, la nature, sans pour autant être figée, a modestement profité du temps pour s’embellir et prospérer. Je pensais alors qu’elle était la seule dans les environs à avoir vu les gens se succéder dans la demeure, dont certains, je le sus par hasard, avaient contribué à son enrichissement. À travers les massifs sagement alignés et ordonnés, on devinait le caractère calme de la main qui avait œuvré pour le choix des variétés, veillant à ce qu’elles éclosent tout le long de l’année, fournissant à la maîtresse de maison de quoi installer des couleurs dans l’intimité du logis. Bordant les champs, un second personnage avait laissé faire son imagination un peu débordante, dans laquelle la géométrie n’avait jamais été admise. Des buissons croissaient parmi des tapis de fleurs et d’autres végétaux rampants. Cependant, cet agencement avait un charme et rompait avec la monotonie des lignes du jardin à la française. Je me surpris à réaliser que de toute la famille, je suis celui qui n’aura rien modifié à ce décor. Je me serai contenté de faire confiance au professionnel, qui en ce domaine a plus de talent que moi.

    Plongé dans mes pensées, bien que la plume soit à sa place entre les doigts, je n’avais pas encore formé la moindre lettre qui put donner naissance à quelques mots construisant une phrase. Qu’à cela ne tienne, me dis-je, la journée n’en est qu’à ses premières heures, je ferai en sorte que les suivantes soient fécondes. Le moment était trop important pour le troubler. Le jour avait enfin trouvé son rythme. À l’extérieur, la brume qui emprisonnait le paysage se dissipait, accrochant quelques lambeaux aux rameaux qui s’enorgueillirent d’accueillir la robe de mousseline abandonnée par l’aurore. Sur la façade, un lierre hors d’âge finissait d’occuper les interstices laissés par les pierres qui faisaient des efforts pour se désunir. Un instant je crus, à moins que je l’eusse désiré si fort que mon esprit le créa afin de me plaire, que le temps frappait au carreau, me faisant de grands signes, insistant pour que je le rejoigne. Je ne pus retenir un sourire, imaginant que ce put être un ami qui m’invitait à un jeu d’enfance. Mais intérieurement, je refusais de le suivre, car je ne pouvais lui avouer qu’en ce jour particulier, il était le héros de mon histoire. Certes, elle était loin d’être achevée. D’ailleurs, comment pourrait-elle l’être, quand on a eu l’audace de l’intituler « le roman d’une vie » ? C’est si long, une existence d’écrivain, que l’on est en droit de se demander si c’est bien lui qui prendra le temps d’apposer le mot « fin » au bas de la dernière page. Et puis, entre nous, au cours de sa carrière, il aura fait disparaître tant de héros, qu’il n’a certainement pas le désir de finir comme quelques-uns d’entre eux.

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