• Petit clin d’œil à la vie

     

    — Le ciel se prêtait aux rêves, étirant son bleu par delà l’horizon. On aurait juré qu’il savait que ce jour ne serait pas ordinaire. C’est que, voyez-vous, lorsqu’il y a de l’amour dans l’air, celui-ci n’est plus tout à fait le même. On croirait que la vie elle-même s’arrête pour laisser les sentiments s’imprégner, voir changer carrément de lieu de résidence et cohabiter avec de nouveaux amis.

    Ce jour-là, donc, personne ne marchait le long de la piste poussiéreuse et aucun souffle n’agitait les rameaux. Pensant que c’était le moment idéal pour s’épancher puisque les paroles ne seraient pas emportées au-delà de la savane, le timide jeune baobab se lança comme un désespéré se jetant dans une rivière.

    Oh ! Ce n’était pas la première fois qu’il tentait le dialogue, mais les fois précédentes il y avait toujours des oreilles mal intentionnées qui rôdaient, bien qu’il n’y ait aucun mur dans les environs. Depuis longtemps, discrètement il entrelaçait ses racines à celles d’un autre plus ancien, planté là depuis toujours, semblait-il.

    Sans précipitation, mais fermement, chaque jour plus intensément il enlaçait son aîné, faisant croire que la puissance du tronc de son voisin n’était là que pour le protéger, un peu comme un refuge. Un curieux passant par là et collant son oreille sur le tronc aurait pu entendre un conciliabule inhabituel.

    — Alors vieille branche ; comment vas-tu ? Tu en as mis du temps pour comprendre que nous étions faits pour nous entendre !

    N’aie aucune crainte, mon jeune ami, viens plus près que je te serre dans mes rameaux.

    — Oh ! Mais dis-moi, est-ce que je ne sentirai pas ton cœur un peu froid, lança le jeune effronté ? Aurait-il cessé de battre ? Est-ce l’âge qui t’a fait perdre toutes tes feuilles ? Dis-moi, ami, depuis combien de lunes es-tu planté là ? Ne me dis pas que c’est moi que tu attendais ?

    — Pour un timide, en voilà des questions ! Je vais te décevoir. Si, précisément, j’attendais un compagnon et comme tu le vois, ici, j’ai fini par prendre racine !

    — Pardonne-moi, répondit le jeune avec un air triste, mais sincère. De là où je viens, le vent ne souffle pas tous les jours. Il m’a fallu attendre le pied douillet du roi des savanes pour faire la route jusqu’à toi. Mais toi, mon ami, dis-moi comment tu es arrivé jusqu’ici.

    — Je ne le sais pas avec exactitude. Tu sais, nous, les anciens, où que nous soyons, nous importe peu. Alors, ignorant les tenants et les aboutissants, je me suis inventé un passé. Certes, il n’est pas glorieux, mais c’est toujours mieux que de rester ignorant toute sa vie. Je te confie mon secret, mais avant, je veux que tu me promettes de ne jamais rien dire à personne.

    — Si cela peut contribuer à ton esprit de demeurer en paix, je suis prêt à te jurer le silence pour l’éternité. Mais rassure-moi, mon ami, tu n’as pas honte de ce que tu as découvert, au moins ?

    — Honte ? Tu crois réellement que l’on peut avoir honte d’où l’on vient, jeune écervelé ? Écoute plutôt. J’ai imaginé qu’un jour, alors que je n’étais encore qu’une graine, je suis tombé du ciel ;

    — Du ciel ? Mais les sujets comme nous n’ont jamais appris à voler !

    — Laisse-moi donc terminer, tu comprendras mieux après. C’est un oiseau qui m’avait transporté dans quelque chose de mou et de chaud qui m’abandonna en plein vol.

    — Ah ! Dis donc, voilà une bien belle histoire ! Tiens, laisse-moi me tordre de rire ! Je n’ose pas te demander si tu étais assis près du hublot.

    — C’est cela, moque-toi, rétorqua l’ancien. Mais, dis-moi, demanda-t-il en se penchant, en voilà des blessures sur ton corps, c’est la vie qui t’a marqué de son empreinte ?

    — Non pas l’existence ! Elle prend soin de nous elle. C’est un écervelé qui voulut tester son nouveau coupe-coupe. Mais à bien y regarder, je vois que l’on ne t’a guère épargné, toi non plus ! Quelle est cette grande cicatrice, là ?

    — Oh ! Une blessure qui ne guérira jamais plus. Je te raconterai plus tard. N’en parlons plus et laissons nos cœurs se dire ce que nos bois ne savent exprimer. J’accepte que tu m’enlaces et si tu le veux, tu peux rester ainsi aussi longtemps que tu le désires. Je regrette seulement que mon épaule soit trop haute pour recevoir ta tête.

    — Dis-moi ami, si nous demeurons ainsi, crois-tu que le temps passera sans nous voir ?

    — Le temps, certainement, car il est de notre côté. Les hommes, j’en suis moins sûr ! Je pense que tant qu’ils auront autre chose pour faire cuire leurs soupes, je crois qu’ils nous laisseront tranquilles ; après ce sera à la grâce de Dieu.

    — Alors, pressons-nous de vivre l’instant sans nous préoccuper de l’avenir. Il viendra assez vite.

    Amazone Solitude. Copyright n° 00048010-1

     

     


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