• QUAND L’OISEAU CONNAÎT LA DÉTRESSE

    — Alors que nous résidons en un lieu où il nous semble qu’il soit celui d’où s’échappe la vie après qu’elle fut longuement préparée, vous imaginez certainement qu’il s’y passe en permanence des joies, des peines et que les surprises font autant de cadeaux jolis qui se balancent à l’extrémité des rameaux de chaque végétal. Oui, il me semble bien que l’on puisse dire sans risque de nous tromper, que l’existence « grouille et frémit » dans notre environnement qui ne se complaît pas seulement à inventer les instants, mais en même temps qu’eux, les événements particuliers les accompagnant. Oserai-je dire que nous vivons véritablement dans un bouillon de culture en tous genres, au sens propre comme au figuré ? Aussi, ne vous étonnez pas si je vous affirme que le sommeil nous paraît être des heures perdues ; car, en notre absence, pourrait-on croire que la vie en a profité pour imaginer à notre insu des spectacles qui nous auront échappé, des fragrances inconnues rendant jaloux les meilleurs nez de la planète ?

    Mais il est vrai que nous ne sommes que de modestes petites choses qui ont le plus grand mal à vivre en harmonie avec les éléments dans lesquels nous avons bâti notre nid. Dans la société des hommes, à peine l’un d’eux vient-il à tomber, que de nombreux autres l’entourent rapidement, le rassure, avant de le soigner.

    Chez nous, en forêt, pour se faire pardonner ce manque d’empathie envers les membres de sa communauté, la nature nous enivre de milliers de parfums, de nuances qui varient avec les heures du jour, de centaines d’espèces d’oiseaux aux plumages multicolores, et possédant des chants, rendant jaloux les chefs des chorales du monde entier. Aucune ramure des nombreux arbres ne connaît au moins une fois par saison la douceur des nids et les piaillements des nouveau-nés. La ruse est la force essentielle que chacun s’applique en ce milieu que certains préfèrent le nommer l’enfer vert.

    Le volatile ne construit pas son habitat au même endroit, sauf s’il juge ce dernier être en sécurité, ni n’utilise le précédent pour y déposer une autre couvée. Les mammifères déménagent constamment leurs petits, pour dérouter les prédateurs de tous genres. Les fleurs qui n’offrent que peu d’attrait à l’œil distrait distillent les fragrances auxquelles nul être vivant ne saurait résister. Si nous sommes suffisamment attentifs et patients, nous aurons le privilège de voir les pumas et des jaguars changer souvent l’emplacement de la nursery.

    C’est que la vie que nous glorifions à longueur de temps est l’élément qui nous est indispensable certes, mais qui est aussi le plus fragile. Celui qui ne prend pas garde à lui, s’il vient à quitter le groupe, qu’il se blesse en chemin ou s’il tombe à terre, n’a guère l’espoir de se relever. Il devient malheureusement un festin pour ceux qui vont se disputer sa dépouille, n’attendant pas que la mort ait fait son œuvre. Il suffit d’un instant d’inattention, pour, comme ce colibri, heurter une vitre ou une branche dissimulée dans une poignée de feuilles. Alors, pour lui, c’est la catastrophe, sauf s’il a la chance d’avoir près de lui des gens toujours prêts à leur tendre la main.

    Son bec étrange lui est nécessaire pour maintenir à l’abri une langue encore plus longue, qu’il utilise comme un aspirateur dans les cœurs les plus profonds des plantes, où réside un nectar savoureux, en même temps que des micro-organismes riches en protéines, indispensables pour alimenter chez lui une consommation effrénée. Toutefois, ces becs qui semblent avoir été créés pour prélever l’âme des fleurs peuvent également être un sérieux handicap. Qu’ils viennent à percuter un obstacle, et c’est la mort presque immédiate, les vertèbres cervicales brisées ! Les colibris sont des volatiles que l’on qualifie aussi d’oiseaux-mouches tant ils sont petits. Il y a même une espèce si frêle, que nous pouvons sans risque de nous tromper, la comparer aux frelons. Seul le vrombissement de milliers de coups d’ailes le diffère de ces insectes. Vous comprendrez qu’il nous est aisé de sauver quelques-uns de ces malheureux blessés ou d’autres animaux, parce que nous sommes en permanence à l’extérieur, attentifs au moindre bruit et aux appels désespérés. Ainsi, tel ce jeune émeraude, il ne resta au sol que le temps que nous nous baissions pour le relever et le ranimer. Oh ! Ce n’est pas toujours facile de ramener nos petits amis dans le monde des oiseaux, car la chance n’est pas souvent du côté de la victime. Mais qu’elle vienne à accompagner nos pas, et alors la vie pourra reprendre son cours.

    Celui que vous apercevez sur la photo illustrant ces lignes eut besoin d’un bon quart d’heure pour retrouver ses émotions. Il faut avoir le geste léger, le cœur suffisamment gros pour qu’il puisse communiquer au malheureux que nous ne lui voulons que du bien. Il lui faut le temps d’acquérir à nouveau son assurance, mais également que nous lui fassions comprendre que nous ne désirons pas lui voler aucun de ses attraits. Puis vient l’instant de la résurrection, comme diraient certains. Avant de pouvoir bouger, c’est un œil, puis l’autre qui transmet au cerveau la bonne nouvelle : la vie continue, à condition qu’il y mette un peu du sien. C’est alors que le miel fait son apparition. Je me demande à ce sujet, si ce n’est pas à cause de lui, que notre petit colibri n’essayât pas de prolonger son coma, choisissant le moment de nous faire signe qu’il pouvait se débrouiller sans notre aide.

    Alors, comme nous le faisons pour nos amies les bêtes, je me dis que nous pouvons embellir notre propre vie en offrant le nectar à ceux qui en ont le plus besoin. Non seulement nous leur rendons les jours meilleurs, mais en même temps, c’est la nôtre qui s’enrichit du plaisir que nous éprouvons à faire que les autres soient plus heureux. Contrairement à ce que d’aucuns imaginent, le bonheur ne réclame que peu de choses, sinon un peu de miel pour adoucir les peines.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

     


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