• Quand la mémoire s'enfuit

    Quand la mémoire s'enfuit

     

     Pour toutes et tous ceux qui souffrent

    — Voir s’éteindre la mémoire de l’être le plus cher que l’on ait est sans nul doute le pire cauchemar que l’homme soit amené à vivre.

    Est-ce donc une sorte de punition que le ciel nous envoie, à moins que cela soit une autre force maléfique qui jalouse le bonheur qui unit ceux que l’amour un jour rapprochait ? Avoir existé est soudain ne plus être !

    Peut-il y avoir pire châtiment pour un cœur, que celui de voir chaque jour s’éloigner l’être cher qui fit plus que vous aimer, puisqu’il vous donna la vie ? Pareil à la maison qui s’écroule sous les soubresauts du tremblement de terre, voilà que disparaissent tour à tour tous les éléments qui faisaient de l’être aimé la plus merveilleuse construction.

    Il m’arrive alors de vouloir me joindre, à défaut de pouvoir remplacer celui qui souffre et pour soulager sa peine, je lui dédie ces quelques lignes :

    — Ô ma belle forteresse ! Toi qui me vis naître et grandir, qui consolas mes chagrins et m’appris à sourire, te dirai-je combien j’ai vécu heureux sous ton regard qui nous unissait ? Jusqu’à ce matin brumeux où le temps qui passe avec indifférence pour certains chez nous s’est installé. Sans doute t’avait-il jugée trop séduisante pour que l’envie lui prit de s’arrêter devant notre porte. Un instant je l’ai même soupçonné de vouloir se mesurer à toi.

    En toi, il se sentit si bien qu’il y prit ses aises et commença à bousculer ce qui le gênait. Il entreprit de creuser les premières fissures, celles qui déstabilisent les fondations. Jugeant qu’il ne serait sans doute pas assez puissant pour exécuter son œuvre, il réclama l’aide des vents de mornes saisons pour, une à une, arracher les tuiles qu’il déposa si loin, que jamais nous ne puissions les retrouver.

    Au pied du mur, il commanda à la terre de s’ouvrir largement afin que chaque jour les pierres qui se descellent tombent au fond de l’oubli. Les fissures devinrent si larges que ma belle forteresse perdit son assurance. Je voulus remettre la porte qui menaçait de sortir de ses gonds, mais tu me regardas avec un tel sourire que je compris l’inutilité de mon geste. Il n’était qu’à regarder la toiture effondrée pour comprendre que les souvenirs qui n’avaient pu s’enfuir par les ouvertures ne se privaient pas de rejoindre directement le ciel par l’ouverture béante.

    Le temps qui s’amenuisait me fit comprendre qu’il n’y avait presque plus rien à retenir, ni chagrins, ni bonheur, ni angoisses, espoir ou désespoir. Il n’y avait pas seulement les souvenirs qui s’envolaient. Il me fallait bien admettre que plus rien de nouveau ne voulait s’accrocher à ce qui restait de la demeure. Ce fut comme si la plus mauvaise image s’était installée en interdisant aux autres de la remplacer. Le ton était donné, cela serait l’automne pour le reste de la vie.

    Voilà, ma forteresse que je pensais indestructible ressemblait à ces villages abandonnés, dans lesquels les âmes ont suivi le dernier habitant, n’ayant plus suffisamment d’espace pour suspendre aux murs pareils à des tableaux, les sourires et les heures heureuses. C’est pourquoi, sans doute égoïstement, je te garde auprès de moi en posant ta main sur mon cœur, afin que ton âme ne s’enfuie pas à la poursuite du long cortège des autres agonisantes à la recherche d’un ciel où les étoiles ne s’éteignent jamais.

    Allons ! Mère ne reste pas là à attendre des évènements qui ne viendront plus. Il est temps de rentrer maintenant et si tu le veux, pour adoucir ta peine je te raconterai l’histoire de cette forteresse qui te ressemblait et qui abrita le bonheur. Il est vrai que le destin voulut que vous partagiez les mêmes peines, mais aujourd’hui nos cœurs sont assez grands pour t’y faire la place qui te revient.

    Oui, mère, je regrette ce temps où tu m’appelais par mon prénom. Tu me souriais et j’aimais voir au fond de tes yeux tout cet amour à distribuer. Hélas, la maladie en a décidé autrement. Elle s’attache à effacer les souvenirs qui nourrissaient notre amour. Je t’aime aussi fort mère, que je hais cette maladie.

     

     

    Amazone Solitude 


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