• Quand le jour s'endort

    Quand le jour s'endort

    — Dormir du sommeil du juste, avons-nous l’habitude de dire pour exprimer la béatitude du dormeur dont le bonheur s’affiche sur le visage alors qu’aucun bruit environnant ne saurait le réveiller. C’est dans cette posture que l’on aurait pu me trouver, si d’aventure quelqu’un avait pénétré la terrasse, en travers de laquelle mon hamac était tendu, afin d’échapper à la moiteur de la nuit qui imprégnait l’intérieur de la case.

    J’étais à mille lieues et sans doute plus encore, installé confortablement dans un rêve que d’aucuns auraient voulu qu’il fût réalité. Je venais de toucher terre après des mois de navigation qui se déroulèrent par tous les temps, essayant de me faire croire que la mer était plurielle. De vague en vague, j’escaladais celle que l’on dit qu’elle est d’huile parfois, mais sans doute avais-je choisi la mauvaise saison pour entreprendre mon voyage un peu fou. Après des mois de solitude avec la mer pour seule compagne et son horizon qui n’en finissait jamais de tourner, je compris pourquoi un beau matin la Terre était née du fond des océans qui devaient s’ennuyer à mourir, sans aucune plage sur laquelle laisser filer son vague à l’âme.

    De plage, justement, sans doute était-ce la plus belle qui s’étendait à perte de vue devant mes yeux ébahis. Je ne fus jamais un héros, mais une foule m’acclamait comme si elle n’avait plus vu d’étrangers depuis longtemps.

    J’ignorais quel pays je venais de découvrir. Si tôt mon pied touchant le sable que des gens m’ont entouré. Ils étaient charmants à l’allure chaleureuse et rieuse. Il y avait si longtemps que je n’avais pas éprouvé une pareille amitié, que je me laissais transporter par cet accueil digne des explorateurs d’un autre temps.

    Les hommes me donnèrent l’accolade. Les femmes infiniment belles posèrent sur mes lèvres un délicat baiser, me disant qu’ici c’était la coutume. Ainsi, grâce à la douceur et les fragrances qui flottaient autour d’elles, ma bouche, précisèrent-elles, ne prononcera comme il est de règle en ce lieu béni que des paroles enchanteresses.

    Elles n’avaient pas besoin de me le préciser, car de toute évidence, je n’avais nul désir de ressembler au nuage qui cache le soleil.

    Lorsque je demandais où je me trouvais, on me répondit en cœur que j’étais au pays de l’enchantement.

    — Chez nous, ajoutèrent-ils avec un sourire malicieux, le vent ne souffle pas. Il caresse le plus petit morceau de peau qui lui est offert. Le ciel a depuis longtemps effacé les autres couleurs pour ne conserver que le bleu qui va si bien à l’océan dont il a donné la teinte à force de s’y baigner. Les fleurs sont si merveilleuses qu’elles ressemblent à des offrandes venues des cieux et dont les cœurs sont le refuge des étoiles. Les parfums sont aussi doux que le miel et les colibris viennent du monde entier pour les aimer et participent à la création de nouvelles espèces, mêlant leur savoir à celui des abeilles.

    Autre chose, me dit-on en baissant la voix :

    — Les mauvais esprits ne traversent jamais l’espace de notre merveilleuse île, pas plus que la haine, la jalousie ou la médisance. Ici, il est inutile de porter la main à ta poche pour y chercher ta monnaie. N’espère rien acheter, pour la bonne raison qu’il n’y a rien à vendre.

    Nous-mêmes, lorsque nous sommes arrivés, la table était préparée et un seul message était écrit dans le ciel ; offrez ce que vous possédez et n’oubliez jamais de le faire prospérer. Rien ne peut nous appartenir puisque ce sont des cadeaux de la vie et que celle-ci ne s’échange pas. Celui qui voudrait la monnayer perdrait la sienne ! Chez nous, ne sois pas surpris de ne pas entendre des éclats de voix, nous parlons peu. Nous préférons regarder dans les yeux des gens qui sont tous nos amis, car c’est là que se cache l’âme de chacun et qu’il est plaisant de la contempler sans dire un mot qui pourrait la contrarier. Ne te montre pas surpris si ta main se retrouve souvent dans celle des autres. C’est ainsi que s’exprime notre joie d’être ensemble et de partager le temps dans lequel nous évoluons.

    Sur notre île, ce n’est pas la nuit qui se pose le soir. C’est seulement le jour qui s’assoupit en fermant les yeux sur le bonheur pour le savourer plus longtemps.

    — Alors que l’aurore suivante répandait sur moi ses fines gouttelettes de rosée, je m’éveillais en sursaut. Le rêve prenait fin avec les embruns d’une averse tropicale que le vent projetait jusque dans mon hamac, comme pour me signifier que les songes ne vivent que pour peupler les nuits afin que nos esprits s’y égarent. Les premiers rayons de l’aurore se pressent de les effacer avant que nous y prenions goût.

    Le temps nous invite alors à le rejoindre en nous murmurant à l’oreille que si nous le désirons, nous pouvons faire ressembler la réalité à nos rêves, le plaisir n’en sera pas moins doux et parfumé.

     

     

    Amazone Solitude


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