• REFLETS DE MEMOIRE

    REFLETS DE MEMOIRE

    LA RUPTURE

     

    Les deux amis étaient quelque part sur les pistes qui font comme une trame sur le continent africain, reliant les villages et les pays. Il y avait trois ans qu’ils étaient absents, trois longues années pour celle qui attendait l’un d’eux.

    Robert ne recevait que très peu de courrier. Qui se souciait de lui, et surtout, qui savait où il se trouvait ? Il était parti un beau matin, sans que personne ne vienne l’accompagner.

    — C’est aussi bien ainsi, avait-il pensé alors, car j’ai l’hypocrisie en horreur ! Il n’aurait plus manqué que l’un de ceux qui lui avait adressé un pied au derrière fasse semblant de verser une petite larme ! C’eut été le comble ! 

    Il n’en était pas de même pour Paul. Il ne se passait pas une semaine sans qu’une lettre n’arrivât dans un campement ou qu’elle le suive ou le précède dans un autre. Il faut dire que lui avait une famille, des amis, et une espérance, en somme. Cependant alors qu’ils rentraient d’une longue mission, Robert fut surpris en découvrant le courrier qui l’attendait. Il connaissait bien la fiancée de son ami. Les trois amis avaient passé la dernière soirée ensemble, dans le restaurant des parents de la jeune fille, alors que l’océan, ce soir là, semblait vouloir emporter la côte, tant les vagues étaient puissantes. Ce soir-là, elle avait promis et aussi juré fidélité à celui auquel elle réservait le restant de sa vie, quoiqu’il puisse arriver. Ils avaient été pathétiques.

    Trois années plus tard, retournant la lettre dans tous les sens, Robert eut l’intuition que quelque chose de grave venait ou allait se passer. Pourquoi lui écrivait-elle à lui plutôt qu’à Paul ? Finalement, après beaucoup d’hésitation il ouvrit le pli qui commençait à lui brûler les doigts. Il reconnut l’écriture fine et bien formée, trahissant, aurait-on pu croire, une jeune fille timide qui confiait son état d’âme à une simple feuille de papier. Soudain, alors qu’il venait d’entamer la lecture, Robert crut reconnaître une voix qu’il connaissait bien ; celle d’Agnès, comme si elle était à ses côtés.

    — Mon ami, écrivait-elle, à toi je me confie, parce que je sais que tu m’écouteras. Ne dis pas non ; je sais que tu m’as toujours comprise.

    Honteusement, je viens te demander d’être mon porte-parole auprès de Paul. J’aimerais que tu lui expliques que je n’en puis plus d’attendre des jours, des mois et des années. Robert, lorsque l’on est une jeune fille, c’est tellement long ! Le temps ressemble à un train qui passe devant toi sans jamais s’arrêter parce que personne ne descend.

    Je sens ma jeunesse me fuir. Elle s’éloigne en m’adressant un regard moqueur. Je ne puis bercer mon existence en la nourrissant d’illusions, en lui offrant que de maigres espérances ou les restes que les gens ne désirent plus conserver ! Ma vie me fuit et je suis lasse de regarder mon entourage qui vit heureux et joyeux alors qu’il me semble que je m’éteigne en silence. Il n’y a que moi qui me morfonde dans ce petit coin du monde. Dans mes cauchemars, je le vois se rétrécir, jusqu’à vouloir m’ensevelir.

    Explique à Paul avec des mots que tu choisiras et qui ne le blesseront pas que je l’aurais profondément aimé. Dis-lui que ma passion était comme la flamme dans le foyer, vive et pétillante. Mais avec le soir, elle s’est faite discrète jusqu’à disparaître, car personne n’avait rajouté de bûche. Je suis épuisée, Robert, d’attendre quelqu’un qui ne viendra sans doute plus me chercher.

    Raconte-lui avec des paroles choisies que j’ai prié, j’ai tremblé et aussi pleuré. J’étais si loin et affreusement seule ! Dis à Paul que mon corps s’est lassé avant mon âme. Il a des exigences, il a besoin d’aimer et d’être aimé et se sentir en sécurité dans des bras puissants.

    Oh ! Robert, dis-lui que le corps de femme est une chose fragile, qu’il réclame à être protégé et à être entouré de tendresse. Comme tous les corps, il a besoin de vivre, de vibrer. Il a besoin d’être dominé puis apaisé après avoir été écouté et honoré. Pour moi, c’est l’inverse qui se produit, il s’étiole, il se meurt. Quand la nuit descend, elle n’envahit pas seulement la terre, mais elle investit aussi mon être tout entier. À qui donc aurai-je pu confier ma détresse ? Je suis comme la veuve d’un marin que la mer a pris. Dois-je aussi m’habiller de noir ?

    Voilà des années que je suis seule avec mon désespoir. Vois-tu, Robert, à force de se pencher sur le néant, on finit par y glisser et dans ce monde on ne rencontre que des ombres et l’on finit par leur ressembler.

    Un soir, l’une d’elles m’a dit de faire ce que j’estimais être bien pour moi et de le faire en toute honnêteté.

    Sois mon avocat, dis-lui que c’est avec le cœur gros que je pars errer avec les ombres. Je ne suis pas forte, je ne l’ai jamais été. Je savais seulement que la vie s’offrait à moi et que je me devais de la traverser au bras du bonheur, et non pas de lui tourner le dos...

    Extrait « Du Chêne au Pois sucré » de Benoit Thibault de Beauséjour.

    Amazone. Solitude. Copyright n° 00048010-1

     

     


  • Commentaires

    1
    Samedi 14 Mai 2016 à 05:17

            Bonjour  René ..Voila une  mission  fort  délicate  pour  Robert  et  je  suis  curieuse  de  savoir  comment  va t il  s'y  prendre . D'un autre  cote , Paul  sera t il  surprit ?  .
       Peut-être  que  Robert  par  la  suite ,  saura  consoler  Agnès . 
         Mais  qui  sait  ?  les  affaires  de  cœur  sont  souvent très complexe ..
         Bon  Week-end  mes  amis  lointains .
             Amitié  des  US  a  vous  deux
          Nicole ..

     

    2
    Jeudi 19 Mai 2016 à 11:03

    Coucou, Nicole,

    Tu me fais sourire, mon amie ! Robert, Paul et Agnès ! Vers qui le cœur de l'un penchera ? Pour une fois, tu t'es égarée, à moins que le texte prêta à confusion. Non, Robert ne consola pas la belle fleur qui pensait qu'elle se fanait dans l'ombre de la vie. N'oublie pas que les deux amis étaient quelque part en Afrique. C'est son ami qu'il dut consoler, mais l'amitié ne fut pas assez fort pour empêcher l'irréparable de se produire. Un jour, dans une mission particulière, Paul s'exposa un peu trop et ce matin là, lui apporta la délivrance de son esprit tourmenté. 

    Oui, les affaires de cœur sont souvent tourmentées, mais aussi cruelles !

    Nous n'allons pas rester sur une mauvaise note, ma chère Nicole. Je vais te souhaiter une douce journée en compagnie de ceux que tu aimes et qui je pense, te le rendent bien.

    Je t'embrasse, à bientôt

    René

     

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