• Rêves brisés


    — Tout au long de notre existence, il nous arrive de prendre des décisions, dont nous ignorons quelle petite voix nous les souffle à l’oreille. Bien souvent, nous restons sourds à la logique et pensons que nous devions impérativement réaliser le rêve qui occupa notre dernière nuit comme si un désir ardent nous commandait de nous précipiter vers des lieux fréquentés jadis, quel qu’en soit le prix à payer, sentimentalement parlant.

    Cependant, nous ne devrions pas oublier qu’après des décennies passées loin des sentiers qui virent nos premiers pas trébuchants, il n’est pas que ceux-ci qui ont changé, mais l’environnement et toute la région avec lui.

    Alors, n’écoutant que mon inconscient qui me répétait sans cesse qu’avant que je quitte ce monde il me fallait sans plus tarder revoir le pays qui m’avait vu naitre, à la manière du pèlerin qui va se recueillir en un lieu sacré. Mon bâton en main, me voilà donc en route vers d’autres cieux, le cœur serré par l’émotion. Retrouverais-je seulement ma route, me surpris-je à marmonner entre les dents ?

    Pour me rassurer, je me disais que dans la nature, il y avait bien d’autres éléments qui retrouvaient leur chemin, comme les saumons ou les tortues et même les anguilles. Alors pourquoi pas moi ?

    Un pas devant l’autre sans cesse renouvelé, un beau matin je fus au pied de la montagne qui était le dernier souvenir que j’avais emporté, sans y attacher une si grande importance, me semblait-il, alors.

    Mais les paysages d’antan que mes yeux et mon jeune esprit avaient magnifiés sans doute plus que de raison hantaient toujours ma mémoire. Ils s’y accrochaient désespérément, à la manière qu’a un naufragé d’étreindre une bouée, seul élément qui lui rappelle combien la vie est belle à vivre.

    Je ne défaillis point lorsque je découvris la forêt, adossée à la montagne où cohabitaient les sapins, les mélèzes et les hêtres, sous lesquels, à la belle saison, les airelles faisaient un tapis merveilleux sur lequel le bleu dominait, invitant à la dégustation. À ce stade des images, avant d’aller plus loin, je laissais ma mémoire classer les souvenirs, elle en bouillonnait d’impatience.

    Je fermais les yeux et me revis conduisant nos troupeaux aux alpages. Le long des chemins sinueux qui côtoyaient parfois des à pic, les mûres m’offraient leurs pulpes savoureuses, tandis que les framboises sauvages rivalisaient en couleurs et en parfums avec les fraises des bois.

    La ferme et ses servitudes étaient à mi-pente, mais il arrivait souvent que les nuages viennent s’inviter dans la cour, faisant croire à l’enfant que j’étais, que le ciel descendît prendre un moment de repos ou encore que les ancêtres venaient vérifier que les traditions étaient respectées.

    À l’entrée de la cour, un peu en retrait, glougloutait joyeusement une source, alimentant les abreuvoirs autour desquels se réunissait le bétail aux heures chaudes des saisons. Les hivers voyaient la neige recouvrir notre montagne et les bêtes, malgré le foin rentré à la belle saison, s’impatientaient, les fourmis dans les pattes. Au printemps, l’hirondelle retrouvait son nid tel un petit bonheur heureux de retrouver son foyer, alors que les mésanges nichaient entre les pierres disjointes des bâtisses, au plus près des hommes. Revenant à la réalité, je retrouvais l’entrée du chemin qui s’élevait vers les sommets.

    À la végétation qui poussait en désordre tels des cheveux fous jamais coiffés, je compris qu’elle n’avait pas vu un troupeau de moutons depuis longtemps. Mais je n’en étais qu’au début de mes déceptions. Rapidement, le chemin large et parfaitement entretenu se transforma en une sente que l’on pensait se perdre au prochain détour.

    Je compris alors pourquoi il ne faut jamais revenir sur les lieux où le bonheur a séjourné avant de s’enfuir avec le dernier habitant.

    Devant la misère qui tournait en rond dans la cour, visitant une bâtisse, puis une autre, ma déception ne cessait de grandir. La source s’en était retournée sous la terre et plus aucune baie n’ornait les buissons qui s’affalaient de chagrin. J’avais voulu revoir ces lieux où l’amour m’avait visité, où mes espérances s’étaient accrochées sur les ronciers et où mes rêves se perchaient à la cime des grands arbres ; sans doute n’aurais-je pas du faire ce voyage.

    Un matin, j’avais tourné le dos au paradis et je le retrouvais sous la forme du purgatoire, et non loin de là, les premières flammes de l’enfer. Pareil à ma joie, les maisons et autres étables s’écroulaient, aucun cœur ne semblait caché entre les pierres. Le silence était impressionnant ; presque trop fort, qu’il en faisait mal aux oreilles et au cœur !

    Il n’y avait plus de cri, plus de bruit, plus de vie !

    Seule une pierre se détachait de temps en temps et finissait au pied du mur, où elle se joignait aux autres, afin de recouvrir les heures heureuses qu’elles ne voulaient pas laisser s’échapper.

    Un instant, j’ai eu envie de m’allonger auprès de mes songes, en compagnie de mes sourires d’enfant. Je n’en fis rien, réalisant soudain que la vie n’était qu’une succession d’étapes au long desquelles nous semons sans cesse de nouveaux souvenirs qui imprègnent les chemins de notre histoire, mais qu’ils ne sont pas pour nous. Il appartiendra à ceux qui nous suivent de les découvrir et de les faire revivre en collant les images qui conviennent à chaque instant.

     

     

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