• RICHE MALGRÉ LUI 1/2

    – Toi qui as des connaissances, Pierre, tu peux me dire si cette pièce vaut quelque chose.

    – Sois gentil, Marcélou, et cesse d’imaginer que je suis au fait de tout, il s’en faut de beaucoup pour que ce soit le cas ! Cependant, ce que tu me montres, sans jeu de mots, c’est de l’or !

    – De l’or ?

    – Oui, tu as bien compris. Elle est très estimée, puisqu’elle est cotée. Je ne saurai pas te dire combien, mais tu as en mains une petite fortune. Enfin, soyons raisonnables ; si tu en détenais plusieurs, tu serais sans doute possible à la tête d’un beau capital !

    – Bon, je vais te le dire. En effet, j’en ai beaucoup. Pas une brouette, mais une sacoche moyenne en cuir.

    – Et tu as cela depuis longtemps ?

    – En vérité, elles ne sont pas à moi. Elles sont à ma mère, avant tout, puisqu’elles appartenaient à mon père. Par le biais de l’héritage, elles me reviennent, mais autant que tu le saches, ce n’est pas moi qui les ai gagnées.

    – Peu importe, elles sont à la famille. Ta maman veut-elle s’en séparer ?

    – Non, du moins, elle ne m’en a pas parlé. D’ailleurs, je ne crois pas qu’elle se souvienne que nous avons cet argent.

    – De l’or, mon ami !

    – Oui enfin, depuis tout ce temps, peut-être qu’elle l’a oublié.

    – Vous ne discutez donc jamais des affaires qui vous sont personnelles ?

    – Très rarement ; pour te dire la vérité, le tour de notre histoire est vite fait. Mon père parlait peu et ma mère l’imitait. Et moi, au milieu d’eux, je ne pouvais rien faire ni m’exprimer. D’ailleurs de quoi aurais-je bien pu les entretenir ? De notre temps, vois-tu, les enfants n’avaient pas droit au chapitre. Comme tant d’autres, j’avais ma tête dans mon assiette de soupe, et quand elle était avalée, je filais me coucher.

    – Cependant, tu devais bien saisir quelques paroles, intercepter certains signes de connivences, et je ne sais quoi de plus ?

    – Tu as bien dû t’apercevoir que je ne suis pas d’un naturel curieux. Je ne m’intéresse qu’à ce qui me touche de près, et encore, très modestement. À ce sujet, tu en connais quelque chose, puisque c’est à toi que je demande toujours tout.

    – C’est vrai, et je te remercie pour cette confiance que tu mets en nous. Mais tu sais, s’ouvrir sur le monde n’est pas un péché. Souvent, c’est en regardant au-dehors que l’on trouve ce qui ne va chez nous, car les gens ne sont pas si différents que nous le supposons.

    – Oui, je comprends ce que tu veux dire, Pierre. Cependant, moi, ça me fatigue toutes les histoires qui se passent ou qui se murmurent de-ci de-là. J’aime ma tranquillité.

    – Pourtant, avec nous, tu parles, tu te renseignes et tu partages ; alors, pourquoi ne pas le faire avec les autres ?

    – La vérité, je peux bien te le dire. Autour de moi, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de voraces. Ils sont comme les corbeaux qui viennent l’après-midi, déterrer les graines que tu as plantées l’instant précédent. Ils sont à l’affût de tout. Quand je pars le matin, comme par hasard les rideaux se lèvent. Pour aussi discret qu’ils veulent se faire, j’ai quand même le temps de les surprendre. Et le soir, lorsque je reviens, c’est le même manège.

    – Sans doute le font-ils plus par habitude que par curiosité. Et puis, c’est presque rassurant, non ?

    – Je ne vois pas comment.

    – Imagine que pendant un jour ou deux tu ne sors pas. Ils vont s’inquiéter à ton sujet ; j’en suis persuadé. Il ne s’écoulera pas une heure avant que tu entendes frapper à ta porte, car ils connaissent trop bien tes coutumes.

    – Tu penses sérieusement à ce que tu dis ?

    – Évidemment, Marcélou. Sinon, je ne prendrais pas la peine de te l’expliquer. Chez eux, soulever le rideau de la fenêtre est un réflexe, rien que cela. Ce n’est rien d’autre qu’une forme particulière de vie. Au contraire de toi, ils aiment savoir ce qui se passe au village, et qui y rentre ou en sort. Et puis, comme tu résides au fond de l’impasse et qu’après toi il n’y a que les champs si un étranger venait à s’égarer par là serait sacrément curieux, tu ne crois pas ?

    – Cela n’empêche ; je n’apprécie pas ces façons.

    – Donc, j’en déduis que tu ne regardes jamais chez tes voisins pas plus que tu t’informes de leurs santés ?

    – Le village est petit, Pierre. Quoi qu’il s’y passe, on finit toujours par l’apprendre. Si quelque chose m’échappait, le soir, entre deux parties de belotes, je serai vite mis au courant. Mais, si tu le veux bien, revenons à ma pièce ; sérieusement, tu crois qu’elle a une réelle valeur ? Elle est si vieille !

    – Le marché des affaires est en perpétuel mouvement, Marcélou. Quand l’une monte, c’est que l’autre y laisse des plumes. Mais de toutes, l’or sera toujours un refuge pour les grosses fortunes. Je vais me renseigner, et te tiendrais informé. (À suivre)

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