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Sur les ailes du temps
— Le ciel ressemblait bien à un jour de départ. Il était bas et gris pour ne pas dire carrément lugubre. Mais comment en aurait-il pu être autrement, lorsque le béton froid entoure les aéroports du monde entier ?
Depuis la veille, la pluie s’était invitée au voyage, ajoutant à la tristesse ambiante des salles immenses dans lesquelles se pressent les gens désorientés, à la recherche du bon horaire ou de l’endroit où ils doivent enregistrer leurs bagages.
L’homme en partance au contraire de nombreux autres passagers n’était pas anxieux, encore moins habité par un quelconque stress. Ce voyage il l’avait lui-même provoqué et il n’en était pas à son premier.
Lentement, l’avion avait pris son rang en bout de piste et c’est à peine si les passagers avaient ressenti les freins que le pilote venait de lâcher pour permettre au grand oiseau blanc d’aller rejoindre sa place dans le ciel.
Par le hublot, l’homme regardait les côtes de son pays s’enfuir vers le nord. Il ne fut pas étonné quand il réalisa qu’il n’éprouvait aucune tristesse de le laisser une fois encore. Sans doute même que cela sera la dernière, car dans la vie des hommes, arrive forcément l’instant où le bon sens vous souffle à l’oreille que le temps de déposer vos bagages est venu.
Son cœur battait bien un peu plus fort qu’à l’ordinaire, mais ce n’était pas dû à une quelconque appréhension. Il pensait aux siens qui la veille lui avaient confié leurs larmes, mais aussi leurs espérances de se revoir très vite.
Il aurait tellement voulu recueillir ces larmes d’amour pour les disséminer sur leur nouvelle terre, afin que l’une et les autres se reconnaissent dès leur première rencontre.
Parfois, le hasard nous réserve bien des surprises, pensait-il encore, laissant son regard aller à la rencontre d’un ciel qui n’avait plus de nuages.
Il volait haut au-dessus d’immenses colonnes et il ne s’étonna pas en imaginant qu’il en allait ainsi lorsque l’homme devient quelqu’un d’autre, qu’il est obligé de laisser en un endroit du monde la personnalité qui était sienne avant le grand jour du départ.
Alors que plus aucune terre n’était en vue, il se souvint d’un lointain voyage, à autre époque.
Elle lui avait déjà montré les rivages de son pays s’enfonçant dans les eaux au fur et à mesure que le navire rentrait sur l’océan. Cette fois encore il n’avait éprouvé aucun regret à la pensée qu’il ne reverrait plus jamais certains visages ; ils s’effaçaient lentement de sa mémoire, comme le jour cédant sa place au premier soir d’automne.
Regardant la mer de nuages défiler sous l’appareil qui filait vers le sud, il imagina que son passé se diluait dans cette masse cotonneuse, avant d’être dispersé au grès des vents.
Sa vie, personne ne l’avait prié pour qu’il en choisisse une nouvelle. Un jour, il avait estimé que l’habit qu’il portait depuis sa tendre enfance était devenu trop juste et quelque peu usagé. Le temps était venu de muer, tel le serpent, marquant ainsi une nouvelle étape.
Il avait décidé en son âme et conscience et savait qu’on ne reconstruit pas une seconde vie sans laisser dans la corbeille d’immenses efforts.
Mais il était prêt à en découdre avec le monde entier si cela était nécessaire.
Recommencer est une seconde naissance, avait-il dit. Peut-être plus belle, car c’est moi qui choisis cette fois et qui vais l’orienter selon mes désirs et mes espoirs.
C’est que dans la vie, estimait-il, si les évènements tardent à se manifester, il nous revient de les provoquer et de réveiller la providence qui sommeille au détour des chemins. Chacun de nous, se persuadait-il, voit la chance passer au moins une fois à sa portée. Il faut être suffisamment vif pour la saisir et lui demander d’être sa compagne. Elle déteste que nous feignions de l’ignorer.
Ce jour le trouvait courant très vite vers sa nouvelle patrie. Mieux, il volait des jours, comme un signe prémonitoire, pour faire comprendre à celui qui le traversait qu’effectivement il en aura besoin de nombreux autres pour mener à bien tous ses projets.
Pour une fois, s’excusa-t-il, le temps peut bien me laisser passer devant lui, car il finira de toute évidence par me rattraper quand il lui plaira.
Il sourit en silence quand il pensa que c’était bien la première fois qu’il courrait si vite vers l’inconnu alors que la sagesse recommande toujours la plus grande prudence. Qu’importe, se dit-il encore. J’ai un nouveau nid à construire ainsi qu’un autre livre à écrire. L’avenir commencera au bas de la passerelle de l’avion et m’attendent les premières lignes d’une histoire dont les chapitres sentiront bon l’humus et la forêt parfumée.
Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010
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Commentaires
Bonjour René ..
Ne dit on pas que les voyages forment la jeunesse . il fut un temps ou tous les mois un voyage était projeté . De quelques jours ou quelques semaines , c’était une grande joie d'organiser le départ .. Avec les années , a présent partir loin de la maison , fait un peu
peur car la fatigue et le changement ne font sentir a plus grande échelle .
J’espère que tout va bien chez toi cher ami lointain ..
Amitié des US ..Je vous embrasse tous les deux ..
Nicole