• Sur les berges du destin

    Sur les berges du destin– Sans lassitude aucune, j’ai traversé la vie en suivant le chemin que l’on m’avait attribué, même si je dus le modifier parfois, à l’aide d’outils que l’on avait pris soin de laisser à mon intention. Je l’ai allongé, élargi et embelli en fonction des époques et des saisons. Et aujourd’hui, me reposant sur les berges de mon fleuve préféré, je ne peux empêcher mes pensées de vagabonder à la manière dont elles ont toujours aimé le faire, à la façon qu’ont les choses et les êtres épris de liberté, sans restriction ni frontière. Le regard accoudé à la beauté du cours d’eau, que l’on nomme aussi chez nous en Guyane, « le chemin qui marche », à juste titre, d’ailleurs, car il fut longtemps le seul véritable lien qui conduisait les hommes les uns vers les autres, je me surprends à imaginer que je lui ressemble un peu. C’est étrange, me direz-vous ; on a plus souvent envie de se comparer à un personnage, parfois à un animal, qu’à une chose aussi fuyante qu’une rivière. Cependant, j’ai relevé beaucoup de similitudes entre lui et moi ; écoutez plutôt :

    Comme lui, je me suis formé dans les ténèbres où j’ai goûté à tous les éléments de l’existence que j’ai trouvés ensuite. Un jour, lassé d’être à l’étroit, et jugeant que j’étais prêt pour affronter l’inconnue, comme le ruisseau, je découvris enfin la lumière. Si lui fut étonné, en revanche, j’étais attendu, c’est le seul fait qui nous différencie. À compter de ce premier jour dans la clarté, notre histoire aurait pu s’écrire sur de mêmes lignes. Pareil à lui, je fus hésitant, cherchant mon chemin, zigzaguant, cascadant, tantôt dans la lumière, tantôt sous l’ombre des forêts. Comme il le fit, je dus m’essouffler pour débroussailler mon sentier, tandis qu’il creusait son lit. Il en fallut, des saisons pour arriver loin des lieux qui connurent nos premiers gargouillis !

    Cependant, le destin ouvrant la marche vers la vie, nous n’avions d’autres choix que de la suivre. Et elle fut toujours plus belle à mesure que nous avancions. De la même façon que de modeste ruisseau, il se transforma en une rivière, je grandis jusqu’à être autorisé à jouer dans la cour des adultes. Lui et moi, n’avions désormais qu’un objectif : l’horizon ! Les sauts nous apportèrent l’élan nécessaire pour reprendre des bouffées d’oxygène perdu en route, puis nous redonner la puissance pour nous permettre d’aller toujours plus loin. Qu’elles furent belles, ces saisons, qui nous virent paresser dans des plaines immenses, alors que de part et d’autre de notre chemin de vie, nous étions rejoints par des amis ! Auprès d’eux, nous avons pris le temps de nous attarder à leurs confluences, comme si nous ne voulions rien perdre de leur histoire, et sans doute aussi pour nous accorder celui de nous habituer à eux, avant de les accepter définitivement. Grâce à ces nouveaux éléments, à notre rythme, nous avons encore grandi. Lui s’enorgueillit d’une eau abondante, s’enrichissant de la mémoire de ses affluents, tandis que moi je fondais une famille.

    C’est alors que l’un et l’autre nous avons rayonné au solstice du bonheur. Lui se fit plus large pour que le ciel flirte à sa surface, et pour m’être agréable, sur ma forêt, il permit à ses nuages d’épouser les ramures les plus hautes, comme pour me dire qu’il n’était jamais aussi loin que je l’imaginais. Sur son onde, le soleil s’amusait à laisser ses rayons frissonner, tandis que sur ma peau il prenait plaisir à la brunir et parfois, à la brûler. Dans l’intimité des ténèbres, le fleuve se fit miroir afin que la lune puisse y vérifier sa tenue avant d’éclairer la Terre endormie, comme pour la rassurer. Quant à moi, les ciels étoilés furent souvent le refuge de mes songes, où ils allaient d’un astre à un autre, comme l’allumeur de réverbères des temps anciens.

    Certes, je ne puis passer sous silence ces saisons orageuses qui s’obstinaient à bouleverser le cours de notre existence. Lui, pendant ces périodes dévastatrices, des crues, il n’avait de cesse de rechercher son lit dans la traversée des savanes et s’égarait même sous les forêts, au désespoir des grands arbres dont certains en perdaient le compte de leurs cernes. Moi, c’était la foule des villes qui m’incommodait en me conduisant en des lieux où je n’avais nullement envie de me retrouver. Mais comme elle, j’étais obligé d’onduler, de suivre, et parfois de trébucher. Puis, après bien des frayeurs, le calme revenait, même si pour un temps nous avions douté qu’il se fût enfui vers un nouveau ciel. Toutefois, pour l’un comme pour l’autre, bien des choses avaient changé.

    La sérénité que nous avions pensées être notre compagne à jamais vint occuper une place importante au balcon de notre existence. Sur son chemin, le fleuve se heurta à des barrages et lorsqu’il se retrouva au-delà de ces obstacles, il découvrit avec amertume que les hommes lui avaient volé sa mémoire. Chez moi, c’est la maladie qui la fit perdre à certains membres de la famille. L’un et l’autre, nous savions désormais que nous devions continuer notre route, certes, mais comme des orphelins.

    Ce fut le moment où nous avons compris que notre destinée était elle aussi arrivée au bout de son chemin. Les effluves marins firent soupçonner au fleuve que bientôt il ne serait plus qu’une goutte d’eau dans l’immensité de l’océan, et qu’il n’aurait aucune considération particulière pour son histoire. D’ailleurs, comme pour lui montrer son empressement à l’engloutir, deux fois par jour il vient à sa rencontre et dans son repli, afin d’aller plus vite, à vive allure tire les flots qui essaient de s’accrocher un instant encore aux racines des palétuviers, avant de disparaître à jamais dans l’indifférence de la mer océane. Pour moi, la vie ne m’entraîne nulle part ; au contraire, de saison en saison, elle m’abandonne à celle qui m’attend en ricanant, sachant que je me précipite vers ses bras grands ouverts, et que ce ne sont pas les médications de toutes sortes qui empêcheront ma fuite vers un monde inconnu des hommes.

    Vous le constatez, le fleuve et moi, après avoir traversé des époques, des pays, et subi des orages, mais aussi des sécheresses, continuons d’avancer vers la même destinée. L’oubli ; cette si longue saison durant laquelle chacun ignore les raisons pour lesquelles il exista.

    Amazone Solitude

      

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Samedi 11 Mars 2017 à 17:38

             Bonjour  René  ,Ami  lointain ..  ..
    Souvent  j'ai  entendu  dire  que  la  vie  n'est  jamais un long fleuve tranquille ...Tu  nous  en décris  quelques  passages ..C'est  vrai  qu'il  serait  plus  agréable ,  s'il  n'y  avait  jamais  de vent pour  nous  bousculer  dans  ses  vagues ,et  encore  l'homme  serait  il  plus  heureux ... le  principale  est  que  nous  gardions  toujours  l’équilibre  pour  remonter  vers  la  berge  quand le  calme  revient  et  ainsi  apprécier  davantage  les  bons  moments ....
    Bon  Week-end  mes  amis ..
    Amitié  des US ..
    Nicole ..
      

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