• Tant de choses nous avions à nous dire !

     

    Tant de choses nous avions à nous dire !— Je devine qu’à la lecture de ce billet certains me diront qu’il est impensable d’entendre un tel dialogue avec aucune partie de notre corps, fût-elle notre cœur avec lequel cependant, nous entretenons d’étroites relations.

    Pourtant, si nous l’écoutions avec attention, nous pourrions entendre ses plaintes et ses souffrances que nous pourrions traduire par de multiples avertissements dont il nous laisse le soin de les interpréter. Ainsi, pourrai-je rapporter ce qu’un organe comme le mien aurait à me dire alors qu’il comprend que le temps imparti à ma vive arrive à échéance.

     — Mon ami, mon frère ou mon autre moi ; oserai-je en ce triste matin te dire la grande douleur qui dépouille mes espoirs ? Voilà si longtemps que nous faisons la route ensemble qu’elle nous rendit indissociables, que je puis à l’instant te révéler sans pudeur mes angoisses connues tout au long de notre vie. Je savais depuis toujours qu’en ta compagnie l’existence que nous allions mener ne serait pas un long fleuve tranquille, encore moins, un beau sentier fleurit au long duquel de nombreux bancs s’offrent à ceux qui aiment à s’y reposer, respirant le doux parfum du temps. J’espérais en silence après chaque virage trouver ce genre de meuble, mais de banc sur lequel enfin nous aurions pu prendre le temps de nous reposer un moment en éprouvant du plaisir à voir défiler le vent et ses fragrances, je l’avoue humblement, il n’y en eut guère.

    Puis-je te le dire franchement, sans que tu t’emportes ? Mon ami, tu fus un sacré caractériel, un battant, comme aimaient à te le répéter tes amis. Tu peux te vanter de m’en avoir fait voir de toutes couleurs ! Tu sais, nous, simples petits moteurs, nous ne sommes pas faits pour subir toute une vie les caprices de notre propriétaire ! Tu ne te lassais jamais de tenir le même discours :  

    — Nous ne devons pas laisser la vie venir à nous ; nous avons le devoir d’aller à sa rencontre.

    — D’elle, tu étais insatiable.

    Des horizons nouveaux, de l’air plein les poumons, des amis, de la lumière et des émotions nouvelles, il te les fallait tous !

    À ma grande surprise, tu les eus presque tous, en effet, parce que l’on prétend que l’on ne prête qu’aux audacieux. On ne te refusa rien, parce que tu n’attendis jamais que le jour s’étire sur l’horizon pour aller voir ce qui se cachait derrière lui. C’est lui qui te trouvait debout, le fixant droit dans les yeux, impatient qu’il dévoile ses intentions, avec des mots de bienvenue qui le forçaient à te sourire.

    Si souvent, mon ami, j’aurais aimé que ta course ralentisse afin qu’à l’unisson nos pas décomptent la longueur du chemin parcouru et celle qui s’étendait devant nous, se raccourcissant à vive allure. Mais de moi et de mes états d’âme, tu ne t’es guère soucié. Je me suis si souvent demandé si tu savais que j’existais !  

    Pourtant, j’étais là, blotti tout contre toi, me laissant même aller sur le rebord de tes lèvres, avec l’infime espoir qu’enfin tu te reposerais.

    — La vie est trop courte, clamais-tu ! Le chemin qui la traverse est sinueux et sur chaque pierre qui le construit, il est gravé que nous ne devions perdre aucun des précieux instants qui nous sont accordés.

    — Résigné, je te suivais à ma modeste allure, m’essoufflant toujours plus. Il suffisait que je me laisse aller à verser quelques larmes pour que l’on dise de moi que j’étais gros, sans que l’on se demande si elles étaient d’amour ou de souffrance. T’avouerai-je les douleurs que tu m’imposais, lorsque dans d’autres regards tu découvrais une histoire qui aurait pu se terminer en un conte ou une légende et qui malgré moi, m’obligeait à battre plus fort ?

    Jusqu’à ce légendaire matin où je compris que celle dont tu rêvais t’attendait sur le seuil de sa demeure. La mort dans l’âme, je me résolus à te partager, car je savais par expérience que tu ne reprendrais ton chemin qu’avec l’élue solidement accrochée à ton bras, espérant qu’à deux, la vie allait enfin trouver un rythme plus mesuré et que la trotteuse de l’horloge du temps allait ralentir sa course.

    Quelle erreur d’appréciation je fis ! Nous allâmes au contraire d’émotion en émotion, parfois, jusqu’à friser la rupture.

    Oh ! Comme je te haïssais dans ces moments où les sentiments t’éloignaient de moi ! Combien de fois l’envie me vint de te faire des croques en jambes pour qu’enfin tu retrouves la raison ! Réfugié dans ma solitude, seuls les jours savent le nombre de fois que j’ai désiré sentir ta main m’étreindre, même si l’instant était furtif, le temps que je goute enfin au plaisir que procure et laisse une caresse.  

    L’âge frappant à ta porte, je pensais que le moment était venu pour moi de recommencer à vivre, sinon commencer une nouvelle existence. Une seconde fois, je fis la même erreur. Une barrière avait bien été abaissée pour essayer de te ralentir, mais tu l’ignoras et tu l’enjambas, la méprisant comme tu les fis de tous les obstacles qui jalonnèrent ta route.

    C’est alors que je pris la décision que j’estimais être la meilleure afin que tu n’entraînes pas à ta suite la perte de tous les tiens.  

    Ami, dis-je, qui fis tant autour de toi, pour les autres et pour toi-même, qui construis ici et là et en de multiples endroits, voici mon dernier avertissement :

    Je prends la responsabilité de mon geste, sachant le mal que l’on dira de moi.  

    Un instant, un seul, je vais m’arrêter. Crois-moi, cela me fait autant mal qu’à toi, mais je n’ai trouvé aucun autre moyen pour que tu me prennes en considération.

    Je ne suis que ton cœur, mais me voilà bien essoufflé, car pour moi seul, tu m’offris la vie de plusieurs. Je sens venir l’heure de te laisser là, au bout de tes aventures, alors que j’entends tes suppliques enfin se joindre aux miennes. Pour la première fois, je sens ton pas faiblir, désireux de prendre son temps. Il se pose aussi légèrement que l’oiseau sur la branche en fin de vol, et enfin je perçois de toi de faibles paroles :

    — Reste encore un peu, gentil cœur, j’ai tant besoin de toi pour finir la tâche entreprise !  

    — Je veux bien voler au temps une part de bonheur, répondis-je ; mais s’il me l’accorde, promets-moi de le partager avec moi. Pour l’heure, ne songe à rien d’autre que de laisser ta main sur moi ; tu la retireras à l’instant où je ferais mine de sortir de ma cage.

    Ce fut le jour le plus merveilleux qui me vit enfin en paix avec celui qu’en secret j’ai aimé toute une vie.

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


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