• TRISTESSE D’AUTOMNE

    – Oh ! Bel oiseau, je t’en prie, reste encore auprès de moi. Ne me laisse pas orpheline sur cette malheureuse Terre. Vois comme notre monde devient triste, sans la clarté divine, alors que le vent lui-même semble avoir perdu son souffle en quelque endroit de la planète, où il préfère en cet instant agiter les longues feuilles des palmiers qui ourlent la mer bleue. L’on m’a rapporté que là-bas, les plages font comme un immense collier de sable fin et blanc aux îles qui se parent de milliers de fleurs plus belles les unes que les autres. Elles saluent l’océan qui, sans relâche, dépose à leurs pieds leurs vagues venues de si loin qu’aucune d’elles ne se souvient où elle a pris naissance.

    Ici, mon ami, il ne nous reste que la tristesse de l’an qui lui aussi semble avoir perdu la foi. Il ne demeure en notre contrée que les oiseaux trop faibles pour tenter la grande aventure. La plupart des insectes se sont enfouis dans des galeries creusées à la belle saison. Ils n’en ressortiront qu’au printemps. Parmi eux, les naïfs qui n’ont pas écouté leurs aînés qui pourtant les avaient mis en garde verront leurs espoirs les abandonner. Autour de nous, il n’est pas que l’automne qui se dépouille, comme s’il confiait au temps ses illusions perdues. Les arbres aussi ont laissé tomber leurs feuilles. Elles sont parties avec le dernier souffle du vent annonçant l’hiver. Qui va se soucier d’elles, à présent, alors qu’elles ont contribué à rendre leur hôte joyeux, ajoutant un cerne de plus pour protéger son cœur.

    Oui, compagnon de mes jours sombres, va, je comprends que tu ne veuilles plus demeurer à mes côtés. Comme moi, sans doute y juges-tu la vie par trop injuste. Cependant, le renouveau nous avait fait tant de belles promesses ! Que sont-elles devenues en cet instant qui perd la mémoire des jours heureux traversés dans la douceur des soirs d’été ? Sur les monts environnants, les dernières neiges étaient à laisser leur éclat immaculé rejoindre les ruisseaux, alors sur les rameaux, les bourgeons libérèrent les fleurs. Te souviens-tu de mes pensées que je te traduisais ? Je disais en murmurant que tant de beautés ajoutées aux fragrances nous cachent quelque chose. Oh ! Je me doutais que c’était la vie qui retrouvait son souffle, mais quand on offre trop, c’est que souvent l’on ôte autant. Autour de moi, durant ces jours qui nous faisaient partager leur ivresse, ce n’était que des rondes magiques. Les papillons virevoltaient, les abeilles récoltaient le divin pollen, allant de cœur en cœur. Elles prenaient ici, apportaient ailleurs, contribuant ainsi à créer de nouvelles espèces. Les prés se ponctuaient de taches fleuries pendant que l’herbe poussait dru, ignorant l’homme et sa faux. Puis, ce fut la saison des fruits. Dans les vergers, ils transformaient les arbres en sapin de Noël, avec leurs boules multicolores. Les ramures s’enrichissaient des trilles d’oiseaux, tandis que dans les fourches, de nombreux nids attendaient la couvée.

    Dans les champs préparés depuis l’automne précédent, les récoltes s’annonçaient prometteuses et le soleil prenait du plaisir à blondir les blés. Je devinais que des chants et rires monteraient dans les cours de ferme, en même temps que les sacs se remplissaient d’un grain gonflé de froment. Naturellement, allant flâner du côté du moulin, j’éprouvais comme un bien-être à écouter les meules qui transformaient les produits en une farine de qualité. C’est alors que mes pensées se rendaient vers le four communal, où une fois par semaine, chaque famille irait faire cuire son pain, embaumant le village de son odeur particulière.

    Mais déjà, le faucheur, de son allure déhanchée, s’empressait de rentrer le regain. C’était le moment où les hirondelles se réunissaient pour décider du jour du grand départ. Comme j’enviais leur liberté ! Elles étaient venues avec le printemps, nous avaient pris le meilleur et s’en retournaient, heureuses et enrichies, raconter à leurs amies du sud comme il faisait bon à déguster la vie à plein bec. Puis ce fut autour des palombes de battre le ciel de leurs ailes, faisant des signes d’adieu aux pauvres malheureux destinés à endurer l’hiver. Combien en retrouveront-elles ? Tu vois, mon bel oiseau, ce monde que j’aime tant est cependant bien ingrat. Qui, parmi tous les éléments le composant a une pensée pour ceux qui restent et qui vont souffrir ? Par égoïsme, je t’ai gardé trop longtemps à mes côtés. Ne m’en veux pas, je crains seulement de me morfondre sans tes ramages. Ils scandent les instants de la vie, comme la vieille pendule compte les heures. Mon Dieu qu’en cette saison elles semblent plus traînantes ! Le soleil n’ose plus nous honorer de sa présence. La brume légère s’est transformée en un brouillard tenace. Il sait qu’aucun souffle ne pourra le chasser de la région. Il s’est installé sur les choses et sur les gens, dont il leur fait faire des grimaces, tant les membres sont douloureux.

    Va, mon ami, rejoins les tiens puisque tu connais le chemin. Mais surtout, prends soin de toi et reviens-moi avec les premiers jours. Durant cette saison hivernale, je serai comme la jeune fille qui s’endort, attendant que son prince charmant vienne poser sur ses lèvres le baiser  qui la réveillera.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00061340-1

     

       


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