• Ultime regard sur fond de petite voix

     

    — L’hiver avait été long et sévère. La neige recouvrait la campagne depuis des semaines et chaque jour elle rajoutait une couche à la précédente. Il devenait de plus en plus difficile de travailler dans la forêt. Pris dans une véritable tempête, ce jour-là il décida de redescendre vers la maison plus tôt que d’habitude. Il ne s’était même pas arrêté à l’endroit qu’il affectionnait, là où la vue sur les vallées était un enchantement pour les yeux, le spectacle étant reporté à plus tard, la scène étant complètement obstruée par la neige qui tombait dru et droit en l’absence de vent. En riant, il se disait qu’il ressemblait plus au père Noël qu’à un travailleur rentrant au bercail.

    Alors, pas encore prêts ; demanda-t-il en pénétrant dans la maison où la famille se pressait autour du bon vieux poêle à bois qui dévorait les bûches sans pour autant réussir à réchauffer la construction vétuste ? Mais ils y étaient habitués. Ils savaient que pour ne pas geler dans les chambres, il fallait supporter la température élevée de la seule pièce qui pouvait recevoir un moyen de diffusion de la chaleur. Elle comprit tout de suite ce qu’il avait voulu dire à l’instant où il s’était écrié qu’il fallait prendre la route. Il était ainsi, bourru et imprévisible. Par contre, quand il avait décidé quelque chose, dans l’instant qui suivait, il fallait déjà être partis.

    En un mot, ils allaient traverser tout le pays pour rendre de vieux parents heureux, quelle que fût l’heure à laquelle ils arriveraient. C’est qu’en ce temps-là il n’y avait pas de téléphone pour prévenir les proches d’une probable visite. C’était aussi bien comme cela, car en imaginant qu’ils ne pouvaient parvenir à leur fin, il n’y aurait personne de déçu.

    Il ne fallut qu’un instant pour que la famille se retrouve sur la route, et sans qu’il n’en ait prévenu personne, à quelques kilomètres plus loin, à un endroit où la vallée s’ouvrait sur la montagne, entre les frênes et les peupliers mis à nu par les rigueurs de l’hiver, il s’arrêta un instant. Le spectacle était grandiose. On devinait l’épais rideau de poudreuse qui élevait les sommets, jusqu’à les faire toucher le ciel. Il contempla encore une fois cette montagne majestueuse qui s’était révélée à lui avec simplicité. Elle s’était offerte à ses désirs et même ses caprices. Petit à petit, elle avait consenti à lui accorder quelques-uns de ses secrets et par amitié, il avait dénommé le mont qu’il visitait chaque jour « son picou ».

    Il n’était qu’une masse rocheuse qui s’élevait au-dessus des vallées venant mourir à ses pieds, mais il lui avait toujours imposé le respect. En ce jour particulier, il le contempla plus longuement, car il avait quelque chose d’inoubliable, avec son énorme bonnet de neige. On le croyait sorti directement des cieux. Alors, comme à chaque fois qu’un sentiment lui bouleversait l’esprit, ce fut une succession d’images qui visitèrent sa mémoire.

    Il le revit lorsqu’il se parait d’un camaïeu de verts pour confirmer que le printemps était bien installé et qu’il ne s’en fallait que de quelques jours pour que les clochettes des troupeaux investissant les alpages se mettent à carillonner. Les sons allaient être répétés par les montagnes qui se les renvoyaient en écho, faisant comme une symphonie pastorale en ces lieux qui sortaient d’une longue période de calme absolu. On savait alors que la fête avait installé ses lumières et ses flonflons pour toute la belle saison. La nature qui ne voulait pas être en reste, permettait aux fleurs de déployer calices et corolles bariolées se joignant à la musique et la douceur des jours.

    Était-ce une petite voix qui le fit s’arrêter à cet endroit pour admirer le picou se mirant dans la rivière ? Comme si le temps avait prédit l’avenir, dans l’eau il s’amusait à déformer l’image de la montagne, faisant semblant de l’effacer.

    À cet instant, il devina parce qu’il y avait souvent goûté, le silence absolu qui entourait les sommets, image un peu irréelle dans un monde bruyant et affairé autour des profits en tous genres.

    Il ne pouvait, sans toutefois l’expliquer, détacher son regard de cette masse imposante qui semblait attirer les nuages et qui l’avait si souvent invité à la méditation. Ce jour-là, il fut bien incapable de dire pourquoi il s’était arrêté à cet endroit pour admirer son compagnon, comme il le dénommait, à moins que ce soit lui qui l’eut appelé en secret, pour le retenir encore un instant.

    Plus tard, il comprit que les hommes devraient plus souvent écouter les petites voix qui leur soufflent des mots, car ce fut le tout dernier regard qu’il porta vers sa fière montagne.

    Il ne la revit jamais ; même pas en rêve !

    Depuis toujours, il avait pris l’habitude de ne jamais rouvrir le livre de sa vie à une page déjà écrite. Il préférait en noircir une nouvelle, car les feuilles blanches suggèrent aux mots nouveaux à se dégager des imaginations et aux images d’illustrer les jours qui aiment regarder par-dessus l’épaule de l’écrivain ce que l’on dit d’eux au fil des lignes.

     Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010 

     

     

     


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