• Ultime sourire

    Ultime sourire

    — Il est des pays qui sont poursuivis par la malchance et par le biais des causes à effets, cette malédiction s’invite chez les habitants qui se seraient bien passés de pareilles convives. De conquêtes en occupations avant de connaître la débâcle, elle laisse souvent un gout amer dans les bouches et les esprits. Elle devient ensuite un sentiment qui se transmet comme un héritage.

    Alors, comme s’ils voulaient exorciser la malédiction, certains hommes tentent de relever le défi, décidant un beau matin de monter en première ligne. L’un d’eux aurait pu expliquer aux générations suivantes les enseignements qu’il en avait retirés, si, un beau matin, pour lui la vie ne s’était pas enfuie.

    Il avait pourtant tant à apprendre de cette existence qui ne s’était pas complètement dévoilée, car dans le grand livre de la vie, le mot fin n’apparait jamais. Chaque jour est une page blanche qu’il nous faut remplir afin que nos descendants puissent y rajouter leurs propres images pour que l’histoire demeure immortelle. De son monologue, on aurait pu retenir les quelques extraits qui suivent.

    — Sois courageux, me criait-on ! L’avenir appartient à celui qui le provoque et s’en empare.

    Alors, j’ai écouté ceux qui depuis de lointains bureaux douillets haranguaient les fils innocents de leur pays. Je fus l’un de ces nombreux volontaires à partir la fleur au fusil. Je suis allé d’un pas hardi, parfois en chantant à tue-tête des chansons qui vantaient la grandeur de notre patrie. De par le monde, je suis allé combattre le supposé mal et enseigner le bien.

    Enfin, c’est ce que mon inconscient m’avait soufflé ; m’engager pour vaincre l’ennemi de la patrie. La nation pourtant était bien loin de nous. De traversées en voyages, j’en ai vu des pays que chez nous on imagine qu’en rêve ! J’en ai connu des filles, si belles que je ne savais laquelle choisir ! J’ai flirté avec la joie ignorant qu’elle savait cacher la peine pour paraître plus grande.

    Un jour, une petite voix m’avait soufflé que le bonheur ne passe qu’une seule fois, gare à celui qui ne s’en saisit pas.

    Le temps passa et le ciel s’assombrit. Avec mes camarades, nous avons parcouru les rizières, souffert dans les bambous et les forêts, rampé sous les rafales de plombs à la recherche de chair humaine, le nez dans la boue, jusqu’à ignorer si au-dessus de nous le ciel qui, cependant, existait toujours.

    — Osez, nous disait-on à longueur de temps.

    — Longtemps après ces mots résonnaient encore dans ma tête. Mais quand on est en enfer, il n’est plus temps de croire. On lutte pour survivre. Nous avons combattu, avançant d’un pas le matin, reculant de deux à la porte des ténèbres, pour finalement être les vaincus d’une guerre qui n’était pas la nôtre.   Les rescapés que nous étions s’en sont retournés, sans penser à entonner le moindre chant.

    Ils avaient en mémoire les regards de ceux qui étaient tombés, avec dans le regard quelque chose d’indéfinissable qui installe le doute dans l’esprit des plus forts.

    Le temps passa et nous avons connu d’autres « théâtres d’opérations ».

    Quelle ironie ! Nommer théâtre, le lieu où les hommes s’entretuent et où les spectateurs sont si loin de la scène qu’aucun d’eux ne songe à applaudir quand un acteur tombe, la main sur le cœur. 

    Et là, de pitons escarpés en djebels, de bleds en oasis, il me fallut toujours y croire. J’avais été conditionné, alors j’ai continué d’oser, mais ma foi s’érodait, le doute en moi avait grandi et maintenant il faisait son chemin.

    Pour me déstabiliser, mon ennemi me souriait et m’appelait « mon frère ». En d’autres lieux et d’autres temps, il est vrai qu’il aurait pu être mon ami. J’ai bu à l’oasis, j’ai aimé et encore aimé, plus pour cacher mon désarroi que pour semer l’amour. Un jour, j’ai même entendu un grand homme s’exclamer : « Je vous ai compris ».

    Ce que je compris, surtout, c’est que si nous ne parlons pas le même langage, il est inutile d’employer des mots qui font mal et qui forcent les larmes à couler.

    Quand le jour décide qu’il est l’heure de mettre de la clarté sur la terre, dans le firmament, une à une, les étoiles s’éteignent. Ce matin-là, la mienne fut la première à baisser sa lumière. Je venais à mon tour de tomber. La mort que j’avais méprisée depuis si longtemps m’avait rattrapée. Avant de fermer les yeux, j’ai tenu à regarder le ciel. Partout où je suis passé, il avait la même couleur. C’était le seul lien de chez nous qui m’avait accompagné.

    Un dernier sourire passa sur mon visage quand je me souvins qu’on me disait « l’avenir ouvre en grand ses portes aux audacieux ».

     

     Je vois aujourd’hui sur quoi elles débouchent ! Amazone. Solitude. Copyright n° 00048010-1 


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