• ULTIMES RETROUVAILLES 2/2

    REFLETS DE MÉMOIRE

     

     

    — En silence, ils contournèrent la maison et soudain, il la découvrit. Elle était debout au pied des trois marches de pierres qui, croyait-on, avaient supporté le poids du ciel toute une vie, et qui invitaient à pénétrer à l’intérieur de la bâtisse.

    Il se dit que la femme n’avait pas tellement changé. Certes, elle était bien menue, mais il ne l’avait jamais connue différemment. Les cheveux avaient blanchi ; quand il était parti, ils n’étaient que quelques fils d’argent dans une brune chevelure. Elle était habillée de noir, comme elle le fut toujours. Elle appartenait à cette génération qui s’était accommodée du temps sans s’y arrêter. Parce qu’on avait perdu plusieurs membres de sa famille, on avait passé définitivement des vêtements sombres, sans jamais songer à leur joindre des plus clairs. Ils étaient devenus vieux avant même d’avoir été adultes. La vie ne leur avait jamais offert de douceur ni de faveur ; mais en avaient-ils demandé seulement une ?

    La jeune fille annonça :

    — C’est Robert !

    — Ah ! C’est toi, dit-elle simplement, comme s’il eut été naturel qu’il fût là, quand il fut plus près. Excuse-moi, mais tu sais, je n’y vois plus grand-chose.     - Aurait-elle dit : approche donc mon garçon, que je distingue tes traits ? Mais cela aussi, il devinait qu’elle ne le dirait pas. D’ailleurs, à quoi bon s’attarder sur un visage dont on est certain que sa présence est éphémère ?

    — Puis-je t’embrasser ? demanda-t-il.

    — Mais oui, j’allais justement te le proposer, dit-elle en mentant naturellement ; car entre eux, des accolades, il n’y en avait jamais eu beaucoup. Le monde dans lequel ils avaient évolué ne permettant pas à certaines effusions d’envahir les cœurs.  Cependant, en ce début de journée, un baiser sur chaque joue suffit à effacer des années d’absence. Chez les gens ordinaires pensa-t-il, on traverse la vie comme on le fait d’une rue. Un regard rapide d’un côté puis de l’autre, voilà qu’en deux enjambées l’on se retrouve sur le trottoir d’en face.

    – Ne reste pas dehors, lui dit-elle. Tu prendras bien un café avec nous ? Tu dois en avoir besoin, car j’imagine que tu viens de loin.

    – En effet, répondit-il, j’ai roulé toute la soirée et toute la nuit. Il est le bienvenu.

    Il rentra à la suite de la femme. De la petite cuisine, où rien n’avait changé de place, une porte donnait sur une chambre où il reconnut la vieille armoire avec ses quatre battants recouverts de miroirs. Son regard s’attarda sur l’un d’eux comme si le passé pouvait en surgir, mais rien de tel ne se produisit. Après tout pensa-t-il, quoi de plus naturel que les souvenirs restent où ils ont l’habitude d’être ? C’est moi qui suis parti et il me revient donc de raconter ce que j’ai vu en chemin ! Sans même ouvrir le meuble, il devinait qu’à l’intérieur, tout était placé comme dans l’ancien temps. Dans l’existence, il ne faut rien déranger, qui pourrait distraire le déroulement des jours. Elle ne lui posa guère de questions ; non pas qu’elle n’était pas curieuse, mais parce que rien de ce qui se passait hors de chez elle n’éveillait un quelconque intérêt en son personnage que l’on aurait pu croire absent. Rien ne sût l’attendrir, encore moins l’émouvoir. Il lui dit l’essentiel en conservant par-devers lui les détails. Ce faisant, il s’aperçut qu’en quelques mots on pouvait faire plusieurs fois le tour du monde sans même se lever de sa chaise. Ils échangèrent quelques phrases, puis il comprit que jusqu’à son départ on ne se dirait plus rien ou presque.

    C’est alors qu’il se demanda quel serait le comportement d’une vraie mère envers son enfant. L’aurait-elle reconnu ? Aurait-elle eu des émotions ? L’aurait-elle gratifié de sourires, évoqués de regrets et de ses craintes, et plus sûrement de ses espoirs ? Quelle importance, se dit-il encore, nous traversons la vie et tous les éléments qui la composent, sans pour autant se souvenir de chacun d’eux ! Il m’appartient donc de l’imiter et de profiter de l’instant sans imaginer qu’il soit unique à ce point qu’il encombrera ma mémoire.

    Il mentit un peu à l’instant où il dit qu’il ne pouvait rester bien longtemps. Mais quelle importance revêtait l’évènement ? On l’avait accueilli comme s’il était parti de l’avant-veille et l’on était conscient qu’avant la fin du jour il serait à nouveau envolé. Mais n’en avait-il pas été ainsi depuis toujours ? La vieille femme aurait répondu comme elle avait l’habitude de le faire dans le temps, quand on lui demandait où était Robert :

    – Je n’en sais rien ! Tout ce dont je puis vous dire, c’est que le toit de la maison ne lui tombera pas sur la tête, il n’est jamais là !

    Quand dans le soir, il repartit, un simple au revoir suffit. À les observer, on n’aurait pu croire qu’il serait de retour sans doute le lendemain,  ou la semaine suivante ; on ne se posait pas toutes ces questions. Parfois, on se surprenait à imaginer que s’il était revenu une fois, c’est qu’il le ferait à nouveau.

    Ce fut... jamais.

     

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