• Un homme heureux

    – Le panneau qui traduit la joie de vivre de celui qui habite en ces lieux nous en dit long sur l’existence heureuse du propriétaire du site. Il s’exprime en créole antillais. Chez nous, en Guyane, nous aurions écrit :

    – soley ka chofé ; la pli ka tombé ; van ka souflé ; mo toujou kontan, a sa ka fé mo plési !

    La traduction n’est sans doute pas obligatoire, car j’imagine que chacun a compris que quoi qu’il puisse arriver, notre homme est plus proche que jamais de l’état de béatitude. Après la lecture d’une telle déclaration, on demande toujours quelle philosophie on pourrait opposer à cette rage de vivre dans le bonheur. Quel que puisse être l’évènement, notre ami ne descend pas du nuage sur lequel il flirte avec l’extase et il ne craint pas de nous en informer. Comment ne pas entendre ce cri du cœur ?

    Il est à l’extrême des tourments que vivent et subissent les citadins, aucun évènement ne saurait l’émouvoir. Le temps, depuis toujours il en a fait son allié et il se contente des bienfaits qu’il dépose chaque jour devant sa porte. L’univers, il le connaît bien puisqu’il réside en son centre. Il est parfaitement inutile d’essayer de le convaincre d’adopter un autre style d’existence.

    Comment en est-il arrivé à cette hauteur de sagesse, puisque ce n’est pas sur les bancs de l’université qu’il l’a apprise ?

    Dans son milieu, on était déjà proche des choses de la nature et ce n’est pas par hasard qu’il a retenu les leçons des anciens. Ne disaient-ils pas précisément que pour se sentir bien sur la terre, on se devait d’être debout avant le soleil ? Sans trop savoir pourquoi, notre homme écouta ces recommandations et il n’en fut jamais déçu.

    Il n’avait encore jamais assisté à un spectacle plus beau que celui de l’astre luisant sortant de la mer et auquel il prenait part chaque matin. Il aimait, sans pouvoir expliquer clairement ses émotions, le moment où la boule de feu émergeait de l’océan. Il lui semblait que pendant quelques instants elle hésitait à s’accrocher à l’horizon, mais quand enfin elle avait réussi à se poser sur la ligne, de son observatoire, notre homme savourait ce moment où le soleil semblait sécher ses rayons avant de partir à la conquête de la montagne.

    Comment dire avec exactitude et sans tromper l’instant magique alors qu’il narguait le volcan, s’installant en son cratère avant d’aller enflammer la forêt voisine ? Ébahi, l’homme répétait inlassablement les mêmes phrases.

    – Celui qui m’offrira un plus beau cadeau que celui de la nature n’est pas encore de ce monde !

    Je ne puis imaginer qu’il n’existe une image plus merveilleuse, y compris dans les contes qui circulent autour de la Terre, affirmait-il ! Nos gangans (anciens) disaient qu’après avoir assisté au lever du Roi-Soleil, on pouvait disposer de sa journée et retourner se coucher si tel était notre désir.

    Soyons sérieux, répétait notre homme heureux : quand on vit un tel évènement et qu’il reste au fond des yeux de telles couleurs, comment pourrait-on songer à détourner son regard du jour qui commence sa course ?

    Alors que le soleil entame son long voyage dans un ciel qui dissipe ses nuages pour permettre de saluer l’astre luisant, notre homme se presse vers l’abattis afin d’y prélever les plantes pour les remèdes qu’il ne manque jamais de prendre chaque jour. Il attend avec patience que la rosée emprisonne l’âme des végétaux pour qu’elle ne soit pas tentée de partir vers d’autres horizons. Sans s’attarder en chemin, il retourne vers sa maison où il confectionnera le précieux thé qu’il avalera pour purifier le corps pour le tenir éloigné de toutes maladies.

    Les yeux fermés, il remerciera encore une fois le ciel ainsi que tous les esprits qui y résident pour cette nouvelle journée qui s’annonce aussi belle que toutes les précédentes. Peu importe à notre héros les secousses qui bouleversent la vie des autres hommes et de leur monde ; le vieux philosophe sera toujours le plus heureux puisqu’il n’a rien demandé, que la caresse du temps sur sa peau plissée comme un parchemin, alors qu’un rayon de soleil venu de la mer suffit à son bonheur.

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010 

     

     


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