• UN MATIN D’HIVER A LA CAMPAGNE

    UN MATIN D’HIVER A LA CAMPAGNE

    – Dis-moi, mon garçon, la neige doit être abondante ?

    – Oh ! Oui, grand-père. Je ne reconnais plus rien de notre campagne. Mais, pourquoi me poses-tu cette question ?

    – Parce que je n’entends rien des murmures de la vie de nos montagnes. Si je ne me doutais pas qu’elle soit épaisse, je jurerais être devenu sourd !

    – Tu ne l’es pas, je te rassure. Seulement, personne ne s’aventurera dehors aujourd’hui. Les champs et les chemins sont au même niveau. Dans les vallons, je suppose qu’il doit y avoir de belles congères !

    – Il n’est pas besoin des amas de neige, le laitier ne passera pas ! Nous allons perdre le produit de plusieurs traites ; beaucoup, si le temps persiste.

    – Écoute, grand-père, je n’y connais rien en matière de prévisions météorologiques. Ce dont je puis t’assurer, c’est qu’à l’heure qu’il est, je ne différencie plus le ciel et notre monde. Les flocons sont serrés et tombent droit. Il n’y a pas un souffle de vent. Dans la cour, la neige arrive à la moitié de la porte des granges.

    – Alors, tu sais ce qu’il te reste à faire.

    – Oui, après la traite, je vais m’armer d’une pelle et commencer des chemins entre les bâtiments. Il nous faudra bien nourrir les bêtes ! Pour les vaches et les bœufs, il n’y a pas de problème, étant donné que nous accédons directement à l’étable par la cuisine. Mais les cochons, les moutons et les chèvres sont isolés. Par contre, je ne sais pas si j’aurais les bras assez longs pour jeter la neige assez loin. Je crois que je me retrouverai entre deux murs !

    – L’oncle et l’ouvrier vont t’aider. Vous allez procéder de la façon suivante. Toi, sans tarder, commence à dégager la hauteur que tu jugeras suffisante. Les autres t’imiteront, et ainsi, en peu de temps vous aurez terminé la tâche, et sans fatigue inutile. Si je n’étais pas cloué au lit, je serais le premier à montrer l’exemple.

    – Tu me fais rire, grand-père ! Tu ressembles soudain à un militaire qui distribue les corvées ! Non, pardon, un général qui dirige la bataille, lançant ses troupes de part et d’autre de l’ennemi en vue de l’encercler. Dans le fond, je suis sûr que tu as conservé ton âme de soldat.

    – Ne te moque pas, jeune homme. Ton tour viendra bientôt, alors tu comprendras que cette période que nous devons à notre pays laisse en nous des traces qui ne s’effacent jamais.

    – Ah ! Et pourquoi cela ?

    – Parce que l’armée nous apprend la discipline et le respect. Elle crée ou développe en toi l’esprit d’initiative et de responsabilité, et surtout elle t’oblige à devenir solidaire de tes voisins ; que tu les apprécies ou non. Et encore, je ne te parle pas du temps de la guerre, si par malheur nous devions en connaître une nouvelle.

    – Tu crois que nous allons devoir la faire ?

    – Avec les gouvernements, on ne peut jurer de rien. Individuellement, aucun homme ne serait assez idiot pour ouvrir les hostilités. Mais de tout temps, on nous fit faire le contraire de nos espérances.

    – Et si les jeunes gens refusaient de partir au combat ?

    – Tu rêves, mon garçon. Les gendarmes auront tôt fait de venir te chercher, et si tu es déjà sous les drapeaux comme on dit, et que tu ne te plies pas aux ordres, alors tu risques ni plus ni moins d’être fusillé. Tu vois, tu n’as pas l’embarras du choix. Vivre ou mourir !

    – J’imagine que le plus grand nombre ne doit pas hésiter bien longtemps ?

    – Voilà que tu comprends vite. Mais dis-moi, n’essaies-tu pas de me faire parler plus qu’il est nécessaire ? Et moi, comme un imbécile, je suis là, à t’écouter et te répondre, alimenter la discussion alors que le travail t’attend à l’extérieur. Ne traîne pas et surtout ne donne pas l’occasion aux autres de se monter contre toi. Montre-toi entreprenant, prends les devants. Ils ne tarderont pas à te rejoindre, je les connais bien. Quand le déblaiement sera fini, je sais déjà ce qu’ils te feront faire.

    – Ils vont trouver l’occupation tout seuls ou tu vas leur souffler ?

    – Ils n’ont pas besoin de moi. Ils sont assez grands.

    – Ce travail dont tu parles, quel sera-t-il ?

    – Tu n’as pas une petite idée ? Réfléchis un peu. Que m’as-tu dit tout à l’heure en découvrant la neige ?

    – Que le laitier ne pourrait pas arriver jusque chez nous.

    – C’est exact. Cependant, les vaches ignorant les caprices ou les tourments du temps et des hommes continuent de produire. Et à ton avis, que ferez-vous de toutes les traites ?

    – Je vois où tu veux en venir. En premier lieu, nourrir les bêtes et avec le reste, le faire bouillir pour récolter la crème. Tu cherches donc à me laisser comprendre que je vais devoir baratter toute la journée ?

    – Tu préfères aller dans les champs ?

    – Je ne sais même pas s’ils existent encore ! Bon, je vais commencer à déblayer le chemin qui mène aux bâtiments.

    – Tu vois, sans que personne ne t’ait prié de le faire, tu prends seul les directives indispensables à la survie de la communauté. Cela se nomme la solidarité, mon garçon.

    Amazone. Solitude. Copyright 00061340-1

     

     


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