• UN VILLAGE, DES HOMMES, UN SEUL CŒUR 1/13

     

    REFLETS DE MÉMOIRE

    — Parmi les nombreux souvenirs qui s’accrochent encore à ma mémoire, il y a un village niché à flanc de montagne, à mi-chemin entre le ciel et la plaine.

    Les petites fermes adossées à la nature qui leur sert d’écrin, s’éveillent avec le levant et aiment à poursuivre le soleil jusque dans l’après-midi, avant les heures chaudes de l’été où les plus vieux paressent un peu sous les mûriers dont personne ne sait qui les avait plantés ni même pourquoi le choix se fut porté sur cet arbre. Les visiteurs faisaient souvent la remarque que s’ils avaient été mis en terre plus bas, à coup sûr ils seraient plus jolis. Les villageois murmuraient quelques paroles dont on ne comprenait pas les syllabes, mais qui semblaient vouloir dire — peut-être avez-vous raison, mais peut-être que non — À la belle saison, ils dispensaient suffisamment d’ombrage pour les anciens et cela suffisait à leur confort.

    Les foyers, ou les feux, comme ils nommaient alors les maisons qui abritaient toujours quelqu’un, n’étaient plus très nombreux et seules six familles avaient résisté à l’appel de la ville. Les propriétés étaient mitoyennes. Les plus grandes totalisaient à peine les dix hectares. On y pratiquait la polyculture, ce qui rendait quasiment autonomes les dernières personnes qui s’accrochaient avec toute la vigueur qui les habitait encore à leur terre. Vous savez, avait-on l’habitude dire, l’homme ressemble malgré eux à ces vieux arbres qui acceptent à contrecœur de laisser tomber quelques branches, mais dont les racines ne cèdent pas un pouce de sol. La petite production de lait, quelques veaux, des porcs, des volailles, des légumes et des fruits suffisaient au bonheur de ces gens, un peu rustres, mais au cœur d’or. D’ailleurs, il était inutile de leur parler des choses qui font naître des sentiments. Ils n’avaient jamais songé que cela eut existé autrement que sous la forme qu’avait prise la vie, le matin où ils étaient venus au monde.  

    Usant d’une pointe de naïveté, ils disaient souvent à qui voulait l’entendre, que tant qu’ils n’avaient pas vu l’objet  que l’on cherchait à leur expliquer les détails, ils ne pouvaient ou refuser de la comprendre.  

    On pouvait croire, tant ils avaient le caractère bien trempé, qu’il avait été taillé dans la roche de ces montagnes dont leurs familles étaient issues et encore d’autres, bien avant elles. Le mimétisme était tel que l’on pouvait imaginer qu’ils étaient nés directement de la nature dont ils sentaient pour toujours la bruyère. Le modernisme, il ne fallait pas leur en parler. Tous les travaux étaient effectués selon les usages et les traditions, et la main avait la plus grande part dans la réalisation des cultures et de l’entretien de la terre.

    – Quand les choses arrivent trop tard dans la vie, il ne nous reste plus, qu’à se contenter de celles qui nous ont permis de vivre jusqu’à présent disaient-ils avec humilité.

    Pour les labours, le hersage et divers charrois, l’attelage était constitué d’une paire de bœufs, les seuls habilités à évoluer sur les terrains pentus. Sans doute étaient-ils un peu lents ; mais jamais personne ne songeait à leur en faire des reproches, et surtout, à l’heure de la distribution du fourrage, le soir à l’étable, il était de tradition de leur offrir une part plus importante !  

    Chaque parcelle était entourée de haies parfaitement orientées. Elles filtraient le vent de la même manière que la main le faisait de la terre. Elles constituaient un refuge pour les oiseaux, créaient un microclimat particulier, et piégeaient les insectes que les taupes savaient où trouver, sans avoir à retourner les prairies et les champs. Protégées par ces rideaux de végétaux, les céréales étaient préservées de la verse lors des rafales sous les orages. À elles seules, les haies représentaient un système complexe et simple à la fois, une alchimie parfaite pour l’équilibre du milieu naturel. En outre, elles fournissaient le menu bois qui démarrait le feu qui pétillait dans les cheminées.

    L’hiver était long dans ces contrées. Il commençait souvent aux alentours de la Toussaint s’étirant jusqu’à avril qui ne démentait jamais son caractère rebelle. Les bêtes qui avaient passé les beaux jours dans les alpages redescendaient au temps de la Saint-Michel, époque où généralement, les premières neiges coiffaient les hauts sommets d’un blanc bonnet. Elles allaient s’ennuyer de long mois dans les étables dont une porte communiquait directement avec la cuisine, alors qu’au-dessus d’elles se trouvaient les chambres dans lesquelles il faisait moins froid grâce à la chaleur des animaux, ruminant foin et racines de topinambours en même temps que leur impatience. (À suivre)  

    Amazone. Solitude Copyright 00061340-1

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :