• Une journée en forêt suite 6

    Une journée en forêt suite 6

    — Je ne sais pas vers où ce plateau va nous mener, mais il est agréable à parcourir même si la végétation semble se rehausser sur ses racines, comme pour nous signifier que nous ne sommes pas raisonnables d’insister.

    Ne comprenant pas toujours le langage des plantes, nous ignorons ses plaintes lorsque la lame de la machette les pourfend sans état d’âme. Le layon est chèrement acquis à force d’énergie et il est surprenant de constater lorsque nous nous retournons qu’un étroit sentier fait mine de nous poursuivre.

    — Surveille bien ta boussole, ma chérie ; et surtout, ne crains pas de me corriger, si d’aventure je m’éloigne de la route que tu me désignes ! Il suffit de si peu de pas pour se perdre en ces lieux où tout est identique ! En d’autres pays, le marcheur sait déterminer où se situe le nord grâce à la mousse sur les troncs et de là s’orienter, mais chez nous, dans cette humidité permanente, la mousse depuis toujours a conquis la totale circonférence des troncs. Certains, comme les fromagers (arbres majestueux) sous lesquels dans les villages, se tiennent les palabres conduites par les sages (comme Saint-Louis, rendait la justice sous le chêne,) ne développent leur tronc qu’à plusieurs mètres de hauteur, solidement ancrés sur d’impressionnants contreforts !

    — On a beau connaître la forêt, il n’en demeure pas moins qu’elle reste impressionnante, tu ne trouves pas, demande Josette ?

    — Je pense qu’elle le serait davantage si elle était silencieuse, dis-je. Dans ce milieu, bien malin serait celui qui pourrait nous décrire chaque bruit entendu, tant la gamme est vaste !

    Ils commencent par la complainte du vent dans les feuillages, celle des crapauds et des grenouilles qui entonnent leurs chants dès la perception de la moindre goutte d’humidité ainsi que du bruit impressionnant de la grenouille arboricole, qui, ayant élu domicile dans le creux d’un tronc d’arbre, laisse croire, par son coassement amplifié par la caisse de résonance naturelle, qu’elle est redoutablement féroce et hors de portée de ses prédateurs. À ceux-ci s’ajoutent les appels des oiseaux particulièrement bruyants. C’est à croire qu’ils sont sourds pour s’interpeller d’une façon aussi bruyante ! De temps à autre, sans doute dérangés dans leur sommeil, des feulements rebondissent de tronc en tronc, tandis que des chiens bois (chiens sauvages) se partagent les nouvelles du jour.

    — Soudain, stoppant mes pensées, Josette me demande si j’aperçois la boule noire qui s’agrippe à un tronc de palmier de la famille des awaras, plusieurs mètres devant moi. La tête dans les broussailles, je cesse de les martyriser et me dégage des herbes coupantes après leur avoir fait don de quelques gouttes de mon sang.

    Ça, par exemple, dis-je ! Un mouton paresseux ! Que peut-il bien faire sur cet arbre aux épines redoutables, lui, habitué aux troncs lisses et aux feuilles tendres ?

    — J’imagine qu’il a dû se sauver d’un prédateur, lance Josette ?

    — N’y pense même pas, ma chérie ! Je crois qu’il n’existe dans ce pays aucun animal plus lent que lui ; même les tortues sont plus rapides !

    — Alors il doit avoir des problèmes de vue ou d’odorat pour s’être trompé à ce point ! On dirait même qu’il est carrément planté sur les épines.

    — Nous allons tenter de le délivrer, mais je crois bien que ce ne sera pas sans quelques piqûres ni écorchures !

    — Attention à ses griffes, tu sais qu’elles sont tranchantes !

    — Il doit être suffisamment intelligent pour comprendre que c’est le Dieu des animaux qui nous envoie à son secours, dis-je sans une réelle conviction !... (À suivre) 

    La photo est de Henri Griffit de France-Guyane. Il représente le fromager qui a remporté le titre du plus bel arbre, devant le banian de la Réunion. Merci à lui.



  • Commentaires

    1
    Mercredi 2 Mars 2016 à 11:56

      

    Bonjour René, j'espère que tu vas réussir à dénicher cet animal... La photo du fromager est très belle... Quel arbre !... Une splendeur... Bon mercredi, bisous ensoleillés du midi

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