• Vogue l'espérance

    — Quand je regarde cette image, je ne puis m’empêcher de penser que plus d’un demi-siècle s’est écoulé ! Mais à ce point de l’existence ne réside pas mon étonnement. Je me rends compte avec stupeur que le temps dont j’imaginais qu’il ne pouvait être que notre ami, en définitive, s’est bien joué de nous. Je me demande même s’il ne nous sert pas de lièvre, derrière lequel, naïfs que nous sommes, nous courons à longueur d’année. Pour nous laisser croire qu’il est toujours notre meilleur voisin, il s’amuse avec nous comme avec les vagues qu’il fait rouler sur l’océan et qui semblent être à jamais les mêmes.

    En notre esprit, il pose des images pour que nous rentrions à l’intérieur, comme on le fait lorsque nous pénétrons dans un musée, sauf que dans celui-ci nous en connaissons le moindre recoin pour l’excellente raison que c’est nous qui l’avons construit. Mieux encore ; nous avons accroché les tableaux qui garnissent les murs. Mais il me plaît de m’arrêter devant celui qui me vit partir loin de ma terre natale.

    Nous avions traversé la ville endormie, insensible au spectacle du ciel qui éteignait ses étoiles. Très loin au-dessus de l’océan la nuit semblait parfaitement installée, tandis qu’à l’est, une aurore timide tentait de se retenir au mince fil tendu entre les cimes de plus hauts sommets. L’heure d’embarquer approchait. Une armée de gens invisibles s’affairait sur les quais, dans les docks et dans les ventres des navires à l’amarre. Nous étions au pied de la passerelle de celui qui allait nous emmener sur un autre continent. Il était majestueux dans son bel habit blanc, accoudé à son port d’attache. Une dernière fois, je levais la tête pour voir la lune qui me parut épuisée, alors qu’elle tentait de rejoindre un autre monde et une nouvelle nuit où elle pourrait montrer son éclat. Je me demandais en quel point du globe nous nous trouverions quand à nouveau elle se lèverait au-dessus de nous. Ma rêverie fut interrompue par l’ordre nous indiquant d’embarquer, sans tarder.

    Je ne pus m’empêcher de sourire lorsque je compris qu’il y avait trois classes sur ce bâtiment et que les hommes toujours prompts à inventer quelque chose, en avait même créé une quatrième à notre intention. De tout temps, nous avons donc divisé les individus, me dis-je, avec une certaine amertume. Celle qui nous était réservée, en fait, n’était pas une catégorie. Nous n’étions pas non plus des miséreux, puisque ceux-là voyageaient en troisième classe, alors que la cale de proue qui prend tous les mauvais coups de la mer était aménagée avec des hamacs, jugés suffisants pour faire se reposer ceux qui allaient combattre dans les territoires les plus éloignés de la patrie !

    Qu’importe ; que nous ne puissions pas nous déplacer ailleurs que sur le pont, pensais-je alors puisqu’une nouvelle histoire est sur le point d’être écrite, autant qu’elle le soit dans toutes les conditions de la réalité, et surtout au fil des pages, qu’elle devienne si belle qu’elle enchantera mes nuits sans sommeil ! Cependant, à cette heure aussi matinale, je m’employais surtout à oublier le mauvais roman qui avait eu l’étrange idée de m’avoir choisi, pour courir de feuille en feuille et d’une ligne sur l’autre, et finalement en faire un livre inachevé.

    Le bateau frémit de toute sa coque mettant un terme à mes rêveries. Des ordres étaient aboyés, des cordages volaient dans les airs, des poulies grinçaient comme des enfants pleurent lorsque leurs parents s’éloignent. Un remorqueur souffrait, mais réussit à entraîner son aîné dans la vague. La terre faisait semblant de reculer. Un léger pincement se fit ressentir quelque part autour de mon cœur à l’instant où la sirène déchira l’air pour adresser son salut au pays.

    Comme ce bateau, me dis-je, je reviendrai sans doute un jour. Pour cela, il me faudra attendre que mes blessures se referment à jamais. Il n’y avait pas seulement des douleurs à oublier, mais également des silhouettes que le temps devait digérer. À l’instar du navire, je levais l’ancre et larguais les amarres. Le cap avait été mis au sud-ouest, en direction du Nouveau Monde. Sur l’ancien, le soleil déclinait déjà en ce jour d’hiver et il paraissait s’enfoncer dans les eaux au fur et à mesure que nous avancions, entraînant avec lui tous ceux que j’avais haïs au cours de ma modeste vie. Je me surpris soudain à prononcer telle une ultime prière des mots souhaitant que les flots les engloutissent à tout jamais.

    Indifférent à mes états d’âme, l’étrave du navire fendait les vagues qui venaient à sa rencontre. Le bâtiment, qui semblait si important et même vouloir écraser le quai qui le retenait à l’attache, au milieu de l’océan, était devenu minuscule et fragile. Cependant, il me parut confiant et m’emmenait vers des îles de rêves où l’une après l’autre elles s’efforceraient de me faire oublier qu’avant ce jour il y en avait eu d’autres.

     

     

    Amazone. Solitude. Copyright N° 00048010


  • Commentaires

    1
    Vendredi 17 Février 2017 à 16:28

          Bonjour  René  mon  cher  ami  lointain ..  Avant  de  me  remettre  au  travail  dans mes cartons  et  mon  déménagement  , je  viens  te  rendre  visite  et  ton  billet  du  16 Février  me  transporte  quelques  années  en arrière  ..C’était  en  1971  quand nous  quittons  la  France  pour toujours , j’avais  écris  ce petit  poème  que  je  joins  a  mon  message ..En  espérant  que  tout  va  bien  pour toi  et  ta petite maisonnée .. Je  te  dis a  bientôt  et  je  vous  embrasse  tous  les   deux ..
               Quand  le  bateau  lève  l'ancre .
    Quand  le  bateau  lève  l'ancre  et  nous  emporte ,
    Quand  le  port   même  s'incline  derrière  les  flots ,
    Nous  nous  retrouvons  seul  prés  a  pousser  la  porte ,
    D'un  autre  lendemain ,sous  un soleil  nouveau .

    Quand  le  bateau  lève  l'ancre , la  sirène   salut ,
    La  cote  qui  s'estompe  et  s'enlace  aux  nuages ,
    Quand  il  n'y  a  plus  rien que  tout  a  disparut ,
    Il  reste  encore  au  cœur  , souvenirs  et  images ,

    Puis  nous  nous  retrouvons  entre  le  ciel  et  l'eau ,
    Et  si  le bateau  tangue , il ressemble  a  nos  vies ,
    Qui  balancent  encore  entre  les  amour  mortes,
    Et  le  désir  d'atteindre  l'escale  au  plus tôt .

    Car  demain  est  plus  près  qu'hier  et  aujourd'hui ,
    Quand  le  bateau  lève  l'ancre  et  nous  emporte .
    Nicole  Condoret  1971 .
      J'ai  pris  du  retard  mais , Je  reviendrai  des  que  possible 
     rêver  sur  tes   magnifiques  écrits  que  j'aime tant .merci  ..

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